Vu de la rue Graindorge, quelle ville pour demain ?

Voici la version longue de la tribune des Ecolos solidaires parue dans le Bajomag de février. A partir de l’exemple concret du réaménagement de la rue Charles Graindorge dans le centre ville de Bagnolet, Edith Félix, Maire adjointe chargée des Transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie, évoque la circulation en vélo,  les aménagements urbains, la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi l’expertise citoyenne.

On ne refait pas une voirie tous les deux, ou même tous les six ans. On la pense pour les trente ans à venir. Et les temps changent !

L’urgence climatique nous demande de prendre conscience de l’impact des activités humaines. Nos usages et nos infrastructures engendrent ce que les économistes appellent des externalités négatives qui pèsent sur le long terme et sur l’équilibre écosystémique de la planète. On le sait, les mobilités motorisées et carbonées entraînent une pollution de l’air, mais aussi des sols, l’imperméabilisation et l’enrobage des sols rompent le cycle naturel des eaux de pluie en empêchant l’évaporation de l’eau sur place et en occasionnant des îlots de chaleur en été, l’absence de nature en ville renforce ce manque d’évapotranspiration des végétaux, rompt la biodiversité et menace la pollinisation.

Une réflexion collective et citoyenne

La reprogrammation de l’espace public appelle donc une réflexion collective et citoyenne. C’est ce qu’il nous a été donné de faire à l’occasion des consultations qui ont eu lieu pour le réaménagement de la rue Charles Graindorge. Après des échanges en réunion de quartier du centre-ville en octobre 2021 sur un premier projet de réaménagement quasiment à l’identique, M. le Maire a rouvert une consultation le 12 janvier pour présenter d’autres scénarios. Les échanges étaient de très bon niveau, le débat très constructif. Pour citer le compte-rendu qu’en a fait une participante :

« Le sens du collectif se développe, de plus en plus de citoyens s’intéressent à la vie publique et souhaitent participer à la politique de développement-transformation de leur ville, c’est une très bonne chose. La municipalité l’a bien compris.

Nous sommes tous conscients qu’il faut penser la ville autrement et travailler sur le long terme, pour les générations futures, mais collectivement, en tenant compte des besoins de tous : piétons, cyclistes, automobilistes, vieux et jeunes, actifs ou pas, mobiles ou pas. Un défi qui demande beaucoup de réflexion, d’écoute et de débat. »

Qu’avons-nous convenu pour la rue Graindorge?

La plus forte demande venait des piétons et des usagers de l’école maternelle, dont les parcours piétons sont actuellement entravés par l’étroitesse des trottoirs et une série d’obstacles ponctuels. Impossible de se croiser ou de cheminer de front avec ses enfants. Il fallait élargir les trottoirs.

La place de la voiture a ainsi fait l’objet d’une partie des réflexions. En effet, actuellement, les trottoirs occupent environ un quart de l’espace, alors que les lignes de stationnement plus la chaussée occupent environ trois quart de l’espace. C’est l’inverse pour l’usage : moins de 20% des actif.ves bagnoletais.es utilisent une voiture pour aller au travail.

La question du stationnement est aussi largement discutée. Avant une refonte prochaine de la gestion du stationnement par la ville, les automobilistes tendent à considérer comme normal de privatiser l’espace public pour y garer leur voiture en surface. Cela n’a rien de normal ! Rassurons-les, le stationnement résident sera rendu possible et abordable, et l’offre de stationnements en parkings souterrains n’est pas saturée. Nous les invitons dans les prochaines années à consulter cette offre vers laquelle nous pouvons les orienter.

Finalement, devant le double constat du déséquilibre de l’espace donné à la voiture par rapport aux usages souhaités pour l’avenir, et celui de perspectives de solutions acceptables pour les automobilistes, il a semblé convenable à tous d’accepter la transformation de l’un des deux alignements de stationnement sur l’un des côtés de la rue.

Source : Carfree.fr, VK.com, Riga, Lettonie, 22 septembre 2014

Les bénéfices des circulations en vélo

Rappelons les bénéfices apportés par les circulations en vélo : vitesse en ville identique ou supérieure à la voiture (la vitesse moyenne des voiture à Paris en 2020 est de 13,4 km/h entre 7h et 21h), pas de pollution de l’air, pas de pollution sonore, encombrement identique à une automobile en mouvement pour 7 cyclistes en mouvement, encombrement identique à une voiture en stationnement pour 10 vélos sur arceaux. Devant cette efficacité, on peut donc considérer comme justifié d’aménager la ville pour faciliter les efforts musculaires des cyclistes, leur raccourcir autant que possible les parcours, et protéger leurs déplacements. 8 cyclistes sont morts à Paris en 2020 dans un accident.

Le double-sens cyclable était souhaité. Il sera rendu tout juste possible par un élargissement de la chaussée à 3,5 m. Cependant, dans le débat, il a surtout été évoqué l’intérêt d’apaiser la circulation en revoyant le plan de circulation et en déployant divers dispositifs. Par exemple, sans préjuger des décisions sur l’avenir de la rue Graindorge, une zone de rencontre est une zone limitée à 20 km/h, sur laquelle les piétons et les vélos sont prioritaires. Les deux roues motorisées et les automobiles sont invitées à avancer au pas dans le respect des autres usagers. Le saviez-vous ? Ceci permet de combiner les usages, quelle que soit la largeur de la chaussée.

Qu’avons-nous à conquérir pour les prochains aménagements?

On l’a dit, les avancées validées pour l’aménagement de la rue Graindorge montrent déjà clairement une direction dans la transformation de nos pratiques. On comprend que le tout automobile n’est plus une solution d’avenir en ville et encore moins en centre-ville.

Rappelons la boutade qui circule entre cyclistes : un.e automobiliste, un.e cycliste et un.e piéton.ne entrent dans un café. Dix verres de jus de pommes leur sont servis sur le comptoir. L’automobiliste s’en accapare immédiatement huit, et souffle au piéton : « Fais attention, le cycliste veut te voler un jus de pomme ». Les cyclistes du Comité Vélo et Mobilités Douces à Bagnolet ont bien compris la blague et ont l’élégance d’associer toujours les piétons dans leurs réflexions, sans arrogance sur la préemption de l’espace public, et avec la conscience que les usages changent au fil du temps. Par conséquent, il est avantageux de prévoir des aménagements modulables.

L’objectif d’un apaisement de la circulation et d’un meilleur partage de la rue elle-même est une des pistes majeures pour l’aménagement des mobilités d’avenir.

Alors je vais rajouter ma touche à cette histoire qui circule.  Celle qui n’a pas été invitée à  partager un verre au comptoir, c’est la Nature ! Alors qu’on lui doit pourtant le jus de fruits ! Certes, aujourd’hui la rue Graindorge est toute minérale, et il est prévu d’y planter une demi-douzaine d’arbres. C’est une amélioration. Mais reprenons les enjeux, et nous verrons que le compte n’y est pas.

Les deux photos suivantes font comprendre comment ça chauffe en été en ville. On voit le contraste entre le sol minéral de la place, dont le plan est perpendiculaire aux rayons du soleil au zénith, et les feuillages des arbres. + 12°C ! On voit même la différence de plusieurs degrés entre l’ombre portée des arbres, et celle offerte par les parasols des terrasses.

Lire ici: comment les arbres rafraichissent la ville

Les végétaux agissent comme de puissantes unités d’air conditionné en évapo-transpirant l’eau qu’ils contiennent, le phénomène physique de l’évaporation absorbant une quantité importante de l’énergie solaire.

On le voit donc, l’arbre est le meilleur allié de l’humain pour aménager son avenir en zone urbaine. Or il y est bien mal soigné, et son espérance de vie en ville est drastiquement écourtée. Fosses d’arbres trop étroites qui empêchent le développement racinaire, tailles drastiques pour laisser place aux programmes immobiliers ou au gabarit camions, chocs reçus des automobiles qui sortent de route ou tentent de se garer, entailles dans l’écorce par le dépôt d’encombrants, les griffes des chiens ou les amoureux qui veulent laisser leur marque… Quand le jeune arbre a pu survivre à sa plantation sur site, il n’est pas rare qu’il meure au bout de quelques courtes décennies, alors qu’il aurait pu vivre plusieurs centaines d’années. Il faut comprendre qu’un arbre se développera mieux s’il est planté, non plus dans une fosse d’arbre dont le pied est enrobé ou protégé par une grille, mais dans une bande continue de pleine terre végétalisée. De même il survivra si son houppier peut s’épanouir à distance des façades et des passages de semi-remorques.

Nous avons la chance à Bagnolet, que la ville mette en place une Charte de l’arbre, pour rehausser ce triste bilan et augmenter notre « parc ». Une consultation générale à tous les niveaux permet d’améliorer les conditions de l’arbre en ville, sa valorisation et sa connaissance par toutes et tous.

Une autre aspect indispensable des végétaux en ville est celui du maintien de la biodiversité indispensable à la vie. Toutes sortes d’insectes, et pas seulement les abeilles, sont utiles à la pollinisation. De leur maintien dépend la survie de toute la chaîne, et au final celle de l’humain dans un environnement plus sain et plus agréable.

Trois critères devraient désormais être intégrés dans les réaménagements.

Le taux de surface végétalisée indique quelle place a été gardée pour la nature.

Le taux de surface d’ombre en été donne un indicateur sur la capacité des houppiers à se développer en fonction de l’espace. Il est directement et inversement lié à la température qui sera ressentie dans la rue.

Le taux de surface désimperméabilisée, complémentaire de la végétalisation, permet de retenir la grande majorité des petites pluies sur place, favorisant leur évaporation dans les 48h suivantes, et contribuant ainsi à un climat tempéré.

Expertise citoyenne

Ce débat sur ces enjeux de désimperméabilisation, de restauration du cycle local de l’eau de pluie et de renaturation se structure et l’expertise citoyenne qui est en train de s’élaborer, doivent être valorisée lors des prochaines consultations et prochains projets de réaménagement de la ville.

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