Une école, des bureaux, un hôtel… Annoncée par la Mairie de Paris, la future transformation du boulevard périphérique parisien en “ceinture verte” s’accompagne de nombreuses opérations immobilières. Un article de Xavier de Jarcy dans Télérama. Nous aurons l’occasion d’y revenir car nous sommes particulièrement concerné.e.s à Bagnolet.
Construire une école au bord du boulevard périphérique, là où l’air est le plus pollué et le bruit le plus insupportable ? La municipalité parisienne n’a pas hésité. Après un premier permis de construire refusé par les pompiers, le projet a été revu et accordé. Les étudiantes et étudiants de l’École bleue viendront dès 2023 apprendre le design et l’architecture d’intérieur dans un bâtiment neuf porte de Vincennes, au pied d’une barre de logements. Ce qui a plusieurs avantages : d’abord, les élèves sauront tout de suite ce qu’il ne faut pas faire en matière d’urbanisme. Ensuite, s’ils s’ennuient pendant les cours, ils pourront regarder passer les quelque deux cent cinquante mille véhicules empruntant chaque jour cette autoroute urbaine. Consolation : leur école sera construite dans un écrin de verdure, sous de hauts arbres, comme le montre une affiche placée devant le chantier. Sauf qu’il suffit d’aller sur place pour constater qu’aucun arbre ne pousse à cet endroit, rue Bernard Lecache. Pire : l’historique de Google StreetView prouve que ceux qui existaient ont été rasés entre 2014 et 2015. Pour que les futurs platanes ou marronniers replantés atteignent la taille qu’ils ont sur l’image, il faudra attendre une bonne trentaine d’années. Cette illustration ne serait-elle donc pas un peu mensongère sur les bords ?…
Une forêt d’initiatives contestables
La construction de l’École bleue coïncide avec un vaste programme de transformation du boulevard périphérique en « ceinture verte » présenté par la Mairie de Paris mi-mai 2022 : création d’une voie réservée au covoiturage, ajout de près de cinquante mille arbres sur les talus (dont dix-huit mille déjà plantés), reconversion des portes en places publiques et, à plus longue échéance, évolution du périphérique en un « boulevard urbain, embelli par son paysage, au service d’un projet de plantations ».
Du point de vue des riverains, il y a de bonnes choses dans cette série de mesures, comme la réduction du nombre de files de circulation, qui libérera 10 hectares d’espaces verts – et fera sans doute hurler les automobilistes. 10 hectares, cela reste malgré tout assez peu sur les 35 kilomètres que fait le périphérique, l’essentiel des plantations étant d’ailleurs réalisé sur des talus inaccessibles. Mais le projet de verdissement cache aussi une forêt d’initiatives plus contestables. Car, comme le montre l’exemple de l’École bleue, il s’accompagne de plusieurs opérations immobilières. Elles vont encore un peu plus densifier la ville en renforçant la muraille de bureaux qui enserre déjà le périph sur certains tronçons.
Côté nord-est de la porte de Vincennes, justement, il est prévu un autre bâtiment, rue Albert Willemetz, sur un terrain si étroit qu’il semble impossible de ne pas abattre les grands arbres qui s’y trouvent. Côté ouest, les plans indiquent encore deux autres constructions. Et cela alors que l’espace central entre Paris et Saint-Mandé, au-dessus du périphérique, ne serait pas aménagé en place plantée, mais juste en avenue bordée d’arbres (ou du moins d’arbustes, car on ne voit pas comment de hautes tiges pourraient survivre sur un pont).
Un peu plus au nord, porte de Montreuil, la densification est encore plus flagrante. Au moins sept bâtiments sont programmés, dont un hôtel quatre étoiles et des immeubles de bureau sans caractère, mais avec une « ferme urbaine » sur le toit. Certains viendront couvrir la surface depuis longtemps dévolue aux puces de Montreuil. Les stands des vendeurs seront, selon l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) regroupés dans une halle sous les nouvelles constructions. Là encore, les plans obligent à abattre cent quatre-vingt-douze arbres, la Ville affirmant en planter quatre cent huit pour compenser (mais ils n’auront pas la même taille). Le périphérique sera recouvert entre Paris et Montreuil, ce qui permettra d’aménager une place centrale, mais, contrairement à ce que laissent croire les belles images, l’échangeur autoroutier ne va pas disparaître comme par miracle.
Rentabiliser le moindre terrain
Comme pour la porte de Vincennes, c’est la Semapa (Société d’études, de maîtrise d’ouvrage et d’aménagement parisienne), déjà critiquée pour son programme immobilier près de la gare d’Austerlitz, qui est à l’œuvre. La frénésie bâtisseuse de cette société publique, dirigée par l’ingénieure Sandrine Morey et présidée par le maire du 13e arrondissement, Jérôme Coumet, laisse songeur. Sa conception de l’urbanisme se résume à rentabiliser le moindre terrain en le bourrant au maximum. Pour la porte de Montreuil, elle rétrocède la plus grande partie des marchés de construction au promoteur Nexity. Comme les parcelles appartenaient au départ à la commune, il s’agit tout simplement d’une privatisation du domaine public. Selon la convention passée avec la municipalité, la Semapa empochera ainsi 37 millions d’euros. La Ville prenant à sa charge tous les frais d’aménagement, Nexity pourra à bon compte profiter des plantations et des nouveaux équipements.
Le projet de la porte de Montreuil, qui n’est qu’un exemple parmi d’autres tout autour de Paris, prévoit que certains bureaux seront réversibles en logements, sans doute dans l’espoir qu’un jour, grâce à la voiture électrique, le périphérique soit devenu moins bruyant et moins polluant qu’aujourd’hui. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : le camion électrique est balbutiant et la voiture sur batteries ne représente pour l’instant que 11 % des ventes neuves. En admettant qu’elle atteigne 100 % en 2030, au rythme actuel de renouvellement du parc automobile, il faudra quelques décennies pour tout électrifier. À condition de trouver les matières premières et de produire assez de courant électrique, ce qui est loin d’être évident. Bref, la fin des nuisances n’est pas pour demain.
La sagesse aurait donc voulu qu’en dehors de quelques petits bâtiments bas abritant des commerces ou des services, toutes les parcelles bordant le périphérique soient laissées inconstructibles. Ce qui aurait facilité les plantations. Malheureusement, à Paris, en ce moment, quand il s’agit d’urbanisme la raison l’emporte rarement.