Près de Paris, les écolos obtiennent la protection de 20 hectares de forêt

Depuis plusieurs dizaines d’années, la forêt de la Corniche des Forts, à Romainville, oppose militants écologistes et la Région, qui veut y installer une base de loisirs. La lutte a été victorieuse : en juin, un contrat d’Obligations réelles environnementales (ORE) a été signé de façon à protéger 20 hectares de cette « jungle ». Par Amélie Quentel dans Reporterre.

On ne les voit pas, mais on les imagine : des renards rodant entre les clématites, des musaraignes se faufilant entre deux feuilles de renouées du Japon, des chauves-souris survolant tout ce beau monde. On aperçoit en revanche de nombreux papillons, divers insectes ou encore de hautes branches d’arbres frémissant au contact du vent. Fermée au public depuis 1965 en raison des risques d’effondrements, la forêt de la Corniche des forts, à Romainville (Seine-Saint-Denis), n’est toujours pas accessible pour des promenades. On ne peut l’admirer que de l’extérieur.

Nos deux guides — à l’extérieur, donc — en ce jour de début septembre sont Julie Lefebvre, ex-vice-présidente de l’association Patrimoine et environnement à Romainville (affiliée à Environnement 93) et désormais conseillère municipale Autrement-Romainville ; et Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France et conseiller municipal Écolos solidaires à Bagnolet. Tout en contemplant cette forêt située à seulement deux kilomètres de Paris, il et elle se félicitent d’une « petite victoire » : 20 hectares de ce « poumon vert » — 25 selon la région —, lequel s’est épanoui spontanément sur d’anciennes carrières de gypse, sont désormais protégés dans le cadre d’un contrat d’Obligations réelles environnementales (ORE) signé en juin 2021 entre la région Île-de-France, la ville de Romainville et les associations Environnement 93 et Coordination Eau Île-de-France.

La densité de la végétation de cette forêt lui a valu le surnom de « jungle ». © Amélie Quentel/Reporterre

Une protection qui implique pour la région, propriétaire du site, un certain nombre d’obligations pour les trente années à venir en sus de la fermeture au public : « Ne pas porter atteinte aux espèces animales et végétales présentes sur le site » de même qu’à leurs habitats, « ne pas couper, défricher, déboiser, ni aménager le site, sauf raison impérieuse pour les riverains », créer des observatoires et panneaux pédagogiques ou encore « autoriser l’accès des chercheurs souhaitant étudier l’évolution de la Corniche des forts dans le respect des règles de sécurité inhérentes au site ». Ce contrat ORE, qui sera mis en œuvre courant 2022, vient marquer la fin d’un bras de fer de plusieurs années entre la région et plusieurs associations luttant pour la protection de cette forêt luxuriante, souvent comparée à une jungle — on y voit en effet de longues lianes. En cause : le projet, porté depuis le début des années 2000 par la région, d’aménager sur cette zone à la biodiversité exceptionnelle un « parc de loisirs » (par la suite renommé « île de loisirs » puis « promenade écologique »).

Retour sur le passé : le projet et son ampleur ont diminué de taille au fur et à mesure des années. Sous la pression des militantes et militants, le projet initial d’aménagement total a été revu à la baisse en 2016 : 8 hectares de la forêt (sur les quelque 30 qui la composent) seraient désormais concernés par les futurs travaux d’aménagement, les anciennes carrières de gypse devant être rebouchées par un « coulis » de sable, de ciment et d’eau. Sur cette zone, 4,5 hectares seraient destinés au public via la construction d’une aire de jeux ou encore d’un poney club (la première existe vraiment aujourd’hui, pas le second). Les travaux ont commencé en 2018. Ils ont causé la destruction de 655 arbres selon la région — les associations ont souvent évoqué le chiffre de 2 000 — et une bétonisation de plusieurs hectares de sols.

La mobilisation pour la protection de cette « forêt sauvage et poétique » a alors repris : pétition en ligne signée par plus de 30 000 personnes, tribune publiée dans Libérationune autre dans Reporterre, manifestations et blocages lors du début des travaux… Julie Lefebvre et les autres militants ont choisi de se concentrer sur la sauvegarde des quelque vingt hectares restants. Certes, la région ne prévoyait pas d’y toucher, mais, assure Jean-Claude Oliva, « en allant sur le terrain juridique, il a été possible d’obtenir des garanties de protection afin de prévenir tout nouveau projet », notamment au regard de la prédation immobilière intensive visant la zone. La négociation a conduit au contrat ORE.

Cette aire de jeux fait partie des aménagements déjà réalisés. © Amélie Quentel/Reporterre

« Ce contrat est une victoire partielle car nous étions plusieurs à penser qu’il y avait d’autres aménagements possibles, que toutes les parties auraient pu en discuter en amont, et surtout que l’on aurait pu éviter la perte d’un tiers de la forêt, explique Julie Lefebvre. Cela dit, une fois que les arbres étaient tombés et le projet d’île de loisirs lancé, il nous a semblé qu’il valait mieux nous concentrer sur l’objectif d’après, à savoir la préservation des 20 hectares restants de la forêt. » Mais d’autres militants, membres de l’association des Amis de la Forêt de la Corniche des Forts, très active depuis 2012 dans la lutte contre ce projet d’île de loisirs, étaient d’un autre avis.

Pour sa présidente Hélène Zanier, le contrat ORE relève en effet de « la poudre aux yeux »« C’est comme dans tous les domaines, rien de plus simple que de déroger à une mesure contractuelle de ce type, assure-t-elle par téléphone à Reporterre (le contrat ORE comprend en effet des possibilités de révision et de résiliation). Notre association a donc exigé jusqu’au bout le classement de la forêt en « forêt de protection », qui nécessite une enquête publique, seule solution solide. » D’après elle, Valérie Pécresse et le maire de Romainville ont signé une lettre conjointe demandant une telle protection au préfet de Seine-Saint-Denis, l’édile devant rencontrer ce dernier à ce sujet lundi 6 septembre. Sollicité par Reporterre, Patrick Karam, vice-président de la Région chargé notamment des sports, des loisirs et de la vie associative, confirme le lancement d’une telle demande. Concernant le contrat ORE, il assure que « dès que notre nouvelle majorité [celle de Valérie Pécresse] a repris le projet, en 2016, nous avons tout de suite annoncé notre volonté de sanctuariser le reste de la forêt », revendiquant par ailleurs des mesures compensatoires concernant les 4,5 hectares aménagés pour le public, « très heureux » selon lui de ces nouvelles infrastructures.

La passerelle d’observation, inaugurée en mai 2021. © Amélie Quentel/Reporterre

En tout cas, Julie Lefebvre et Jean-Claude Oliva préfèrent mettre en avant « l’avancée démocratique » que constitue la procédure de médiation ayant permis d’aboutir à ce contrat ORE (et dont le corollaire a été le désistement du recours déposé par Environnement 93 et Coordination Eau Île-de-France contre le permis d’aménager). « L’enjeu du climat et de la biodiversité sont énormes, et les collectivités ont tout intérêt à se saisir de l’expertise des citoyens et citoyennes à ce sujet, développe la première. Bien sûr, on aurait préféré que cette médiation ait eu lieu en amont, mais cela nous montre que les collectivités, les associations impliquées et les citoyens et citoyennes peuvent se rejoindre autour d’une table et trouver des compromis : ce n’est pas rien, 20 hectares préservés sur la première couronne. J’espère que cela va pouvoir inspirer d’autres mobilisations. » Il et elle l’assurent : la vigilance sera de mise pour la mise en œuvre de ce contrat ORE, notamment concernant l’engagement de la région de communiquer ses analyses de la pollution des sols concernés par les travaux.

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