Pas un jeune de moins

Alors que les affrontements entre bande de jeunes se multiplient, un collectif de citoyens et élus de Seine-Saint-Denis réclame davantage de moyens humains, financiers et matériels mais également un meilleur encadrement des réseaux sociaux pour qu’ils ne soient plus le terrain du harcèlement et de la vindicte. Tribune publiée dans Libération le 8 février 2023.

Par Julie Lefebvre, élue Liste citoyenne et première vice-présidente à Est Ensemble (Romainville, Seine-Saint-Denis) et Sylvain Piron, historien, Ecole des hautes études en sciences sociales (Bagnolet), Patrick Lascoux, élu EELV et vice-président à Est Ensemble (Noisy-le-Sec), Jean-Claude Oliva, élu Liste citoyenne et vice-président à Est Ensemble (Bagnolet), Anne de Rugy, élue et conseillère territoriale à Est Ensemble et métropolitaine (Bagnolet), Anne-Marie Heugas, élue EELV et vice-présidente à Est Ensemble (Montreuil), Anna Courouau, architecte DPLG et résidente aux Lilas.

En France, depuis plusieurs années, des jeunes meurent sous les coups et les balles de jeunes à peine plus âgés, pour une casquette volée, une bouteille d’eau, un affront sur les réseaux sociaux, un regard mal placé ; parfois aussi pour du trafic ou des règlements de compte. Des adolescents s’affrontent, d’un quartier à l’autre, séparés parfois par une rue. Ces enfants se vivent comme rivaux et étranger·e·s les uns aux autres, alors qu’ils sont voisins.

Aboubakar est mort à 13 ans, à Romainville, d’un coup de couteau. Kewi avait 15 ans quand il s’est fait poignardé à mort dans la même ville, en 2019. A Noisy-le-Sec et Bagnolet (Seine-Saint-Denis), Olivier, 17 ans, et Ibrahima, 20 ans, sont morts. Tidiane, 16 ans, vient de mourir, tué d’un coup de couteau à Thiais (Val-de-Marne). Cela se passe régulièrement à Paris, à Marseille, et dans beaucoup de villes françaises. Et personne ne parle, ou si peu, de ceux qui ont failli y passer, poignardés, séquestrés ou tabassés, marqués à vie. A chaque fois, ce sont des familles endeuillées ; des élèves, des voisins, des ami·e·s brisé·e·s ; des marches blanches, atterrées. A chaque fois, la mobilisation succède à la sidération, mais il est si dur de se faire entendre, tant la banlieue et les quartiers populaires semblent condamnés à rester prisonniers de leur image et de ces situations.

Rétablir une équité territoriale

Pourtant rien n’est inéluctable, mais les inégalités persistent et parfois s’aggravent dans nos villes toujours plus denses. En Seine-Saint-Denis, nous avons huit fois moins de policiers qu’à Paris, nos établissements scolaires disposent de moins de moyens, et l’aménagement des villes fait disparaître petit à petit les terrains de baskets, skateparks, places publiques, qui permettent de se retrouver et faire communauté. Les adolescent·e·s en sont les grands oublié·e·s ! Et nous ne parlons même pas de l’été et des vacances où bien souvent, faute de moyens suffisants, beaucoup sont désœuvrés. A l’instar de la lutte contre les violences faites aux femmes, il est temps de faire de la cause des adolescent·e·s, une cause nationale.

Néanmoins, nous – élu.e.s, parents, professionnels – sommes nombreux à refuser de voir cela comme une fatalité et à nous mobiliser au plus près du terrain, pour que cessent ces situations. Depuis deux ans, Romainville, Les Lilas, Bagnolet travaillent ensemble sur la prévention, pour recréer des liens entre jeunes de quartiers limitrophes et coordonner leurs services en temps réel, en cas de rixes. A Est Ensemble, nous avons fait de l’emploi des jeunes femmes et hommes notre priorité. Nous travaillons avec l’Etat sur le repérage des jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi et qui sont «hors radars» pour résoudre l’ensemble des difficultés qu’ils rencontrent. De nombreuses associations se mobilisent. Mais tout cela reste insuffisant sans une prise de conscience de cette situation qui touche de plus en plus de très jeunes, partout en France, et sans une mobilisation massive, pour rétablir une équité territoriale, réelle.

Recréer du lien

Il est désormais temps de renforcer mais surtout de pérenniser, les moyens alloués à l’éducation, la prévention, la sécurité, mais aussi pour offrir des perspectives d’avenir aux jeunes hommes et femmes de nos villes qui subissent beaucoup de préjugés.

Il est temps que la justice ait les moyens financiers, humains et matériels de faire son travail et ne soit pas rendue de façon exsangue, dans bien des juridictions.

Il est temps que les associations qui agissent au plus près du terrain, comme les familles et les parents isolés ou impuissants, soient davantage soutenus.

Il est temps de récupérer les armes – couteaux, marteaux, armes à feu – qui circulent si facilement, et de mettre les adolescent·e·s à l’abri des trafics qui engendrent de la violence dans nos villes.

Il est temps de sensibiliser, très en amont, les enfants et les jeunes aux risques qu’ils encourent et qu’ils font encourir quand leur réaction est un passage à l’acte violent.

Il est temps de former, recruter et déployer davantage de médiateurs et de professionnels sur le terrain dans les villes, sur les terrains de sport, aux abords et dans les établissements, afin de prévenir ces rixes devenues trop fréquentes.

Il est temps de recréer du lien entre ces enfants et les adultes, voisins, familles qui les entourent et qui, bien souvent désormais, vu les risques, n’osent plus intervenir.

Il est temps aussi d’encadrer les réseaux sociaux pour qu’ils ne soient plus le terrain du harcèlement, de l’affront et de la vindicte trop facile.

On dit parfois qu’il faut un village pour éduquer un enfant, il est temps que la nation et le collectif des adultes entourent et protègent les  enfants et les adolescent·e·s !

A l’instar du mouvement féministe d’Amérique du Sud Ni Una Menos, nous disons :#Pasunjeunedemoins.

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