Les mobilités et la transition à l’électrique

Dans le cadre du Grand Cycle sur les Mobilités, organisé par la ville  de Bagnolet, Alexandre Faure, chercheur à la Fondation France-Japon de l’EHESS et chercheur invité à Yokohama City University, a présenté jeudi 19 janvier, les enjeux de la transition énergétique pour les Mobilités. La question centrale était de savoir si le passage à l’électrique est une bonne idée et si oui, dans quelles conditions ?

Alexandre Faure vient de terminer un ensemble d’études comparatives des modes de déplacement entre les métropoles européennes, Paris, Amsterdam , Madrid, Stuttgart, Londres, et japonaises, notamment Tokyo, Osaka et Hiroshima.

En Europe, les constructeurs automobiles japonais ont largement percé le marché avec des véhicules hybrides souvent présentés comme une première étape vers une diminution de l’empreinte environnementale, mais aussi avec des véhicules électriques notamment dans le cadre d’alliances avec des constructeurs européens. Inversement, les constructeurs européens et en particuliers français, ont pu apparaître comme des pionniers du tout électrique..

Cependant, avant de poser la question centrale de savoir si l’électrification est une solution viable, il est nécessaire de revenir sur les aspects techniques du moteur électrique qui aura une influence sur l’économie des transports et l’organisation industrielle.

Le moteur électrique a une longue histoire de plus de cent cinquante ans dans les transports en commun. Il était utilisé pour les premiers tramways, les trolleys bus, mais aussi les camions trolleys pour le transport de marchandises. Dans l’Europe contemporaine, c’est la commande publique de près de 4.500 nouveaux bus plus économes et nettement moins polluants (dont une partie en tout électrique) par la RATP pour moderniser son réseau qui a boosté le passage à l’électrique pour les mobilités dans l’industrie européenne. Portés par l’essor des voitures électriques d’un coté, et par l’électrification des transports en commun de l’autre, l’industrie des transports européenne dispose désormais des conditions nécessaires à un passage à l’échelle..

Sur le plan technique, le moteur électrique est plus efficace et plus robuste dans sa conception que le moteur thermique qui endure davantage de frottements, d’usure des courroies et des diverses transmissions, ce qui entraîne de nombreuses contraintes de maintenance.

La principale difficulté réside dans la façon de maîtriser l’alimentation en électricité.

Les tramways et les trolleys-bus requièrent un câblage aérien dont les centres-villes d’une époque ont voulu se débarrasser pour des raisons d’esthétique paysagère.

Lorsque le câblage n’est pas possible, il faut embarquer une source d’énergie à bord.

Les carburants liquides issus du pétrole ou les biocarburants, et l’éthanol émettent des particules lors de leur combustion. De plus, pour les biocarburants et l’éthanol, leur production entre en compétition avec l’alimentation.

L’hydrogène, avec les piles à combustible, nécessite des infrastructures de production encore peu développées et dont le rendement est mauvais, avec des contraintes diverses : les productions les plus courantes utilisent du gaz, ce qui renvoie au problème d’émission de particules et de gaz à effet de serre, et de compétition des usages.

Enfin, le stockage de l’électricité sur batteries s’avère pratique, mais attention aux dégâts : il faut y regarder de près.

Le lithium qui entre dans la composition des batteries, est comme le pétrole, une ressource finie. Il faut donc en avoir un usage raisonné. Son cycle de vie n’est pas non plus satisfaisant : l’exploitation des mines de lithium s’avère un désastre environnemental et humain ; et le recyclage des batteries usagées n’est pas suffisamment mis en œuvre par les filières industrielles.

Enfin, si chaque particulier souhaitait charger sa Tesla à 19h, l’on devrait ouvrir toutes les voiries pour déployer un réseau électrique supportant beaucoup plus de puissance que le réseau actuel, et construire plusieurs nouvelles centrales électriques (probablement nucléaires, avec leurs conséquences sur la gestion des déchets).

Pour la batterie, « Small is beautiful »

Or il faut proportionnellement moins de lithium dans une batterie de petite taille que dans une batterie de grande taille. Aussi, une batterie est d’autant plus efficace qu’elle est de petite taille.

Les véhicules d’aujourd’hui devraient donc tendre à diminuer en taille et surtout en poids. Ce changement radical dans la conception des véhicules qui ne cessent aujourd’hui de s’alourdir serait adéquat avec les réalités des mobilités contemporaines.

Le saviez-vous ?

  • La vitesse moyenne sur le boulevard périphérique parisien est d’environ 38 km/h.

  • La distance moyenne parcourue pour un trajet domicile-travail en Ile-de-France est de 20 km.

  • 90 % des déplacements se font en solitaire.

D’après ces seules caractéristiques, sans présager de l’état de santé du conducteur ou de la conductrice, 90% des déplacements pourraient se faire sur un véhicule aussi peu puissant qu’un Vélo à Assistance Électrique.

Or le poids des véhicules ne cesse d’augmenter : la 2CV de 1935 pesait environ 500kg, la R5 de 1972 pesait environ 750 kg, aujourd’hui, une voiture de ce type pèse facilement 1,2 tonne et la Tesla, en embarquant 1,5 tonne de batterie, en fait 2,5 tonnes.

Alors, qu’est-ce qui freine ?

Il ne faut pas compter sur les gouvernements successifs, qui perçoivent d’abondantes taxes sur les carburants, pour changer la donne.

Sur les usagers eux-mêmes ? Alors que d’autres peuples européens associent l’usage de la voiture aux déplacements domicile-travail ou au statut social, l’exception française, c’est de faire le lien entre l’accès à l’automobile et la liberté. Ce mythe de la liberté de déplacement est tenace, il faut le faire évoluer. Même si les déplacements domicile-travail et les courses sont menées sans recours à la voiture, certaines familles veulent garder un véhicule familial dans la perspective potentielle de partir en week-end ou en vacances alors même que son coût mensuel reste une charge bien supérieure à la location de véhicules pour de telles occasions.

Si pourtant l’on parvenait à imposer de plus petits véhicules, il n’en reste pas moins que :

  • 35% de la pollution vient des particules émises par les plaquettes de frein et par l’usure conjointe des pneumatiques et du revêtement routier.

  • La santé des habitants des métropoles se dégradent à cause du modèle urbain construit autour de l’automobile. Les normes préconisées par l’Organisation Mondiale de la Santé pour la qualité de l’air sont largement dépassées aux abords des autoroutes urbaines. C’est particulièrement le cas à Bagnolet qui héberge le plus gros échangeur autoroutier d’Europe.

  • Les embouteillages sont des fléaux sociaux qui rallongent considérablement les journées de travail et le budget des familles pour la garde des enfants ;

En conséquence, le modèle de la voiture individuelle est bâti sur un rapport pathogène au luxe. Socialement, il engendre des dégâts importants pour la santé des personnes et pour l’organisation des villes et de la vie de leurs habitants.

Considérant ces faits, les politiques publiques devraient vigoureusement encourager une autre façon de concevoir l’organisation urbaine et les déplacements :

Pour une ville de proximité, avec des commerces et des services accessibles à pied ou en transports en commun ;

Pour un politique de stationnement qui libère les voiries de son accaparement, voire sa privatisation par les particuliers propriétaires de véhicules ; et cela au profit des piétons, des mobilités actives, et des bus ; une politique de stationnement qui valorise tout en les maîtrisant les gisements de stationnements souterrains ; avec le Plan Local d’Urbanisme intercommunal et le Plan Local de Mobilité comme outils pour s’aligner avec ces objectifs ;

Pour l’accessibilité, le haut niveau de service, voire la gratuité des transports publics ;

Pour une politique volontaire de développement de l’autopartage : un service d’abonnement à une flotte de véhicule pour l’emprunt ponctuel.

Pour des politiques publiques de soutien à des véhicules électriques de petites tailles :

– Réserver une voie aux véhicules de moins de 300kg sur les autoroutes urbaines et sur les boulevards périphériques.

– Soutenir financièrement l’achat d’un Vélo à Assistance Électrique.

– Préférer le déploiement d’Infrastructures de Recharge de Véhicules Électriques (IRVE) de petite puissance plutôt que les bornes rapides et puissantes.

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