Jardiner dans les ruines du capitalisme

Des centaines de jardins familiaux et partagés ont ouvert leurs portes les 14 et 15 mai à l’occasion des 48 heures de l’agriculture urbaine. Dans un livre foisonnant et subtilement politique, la géographe Flaminia Paddeu montre à quel point la culture vivrière en ville est une bataille pour plus de justice. Par Jade Lindgaard dans Médiapart. 

Ruches tout récemment installées au jardin partagé du plateau.

Face au mauvais bilan d’Emmanuel Macron sur l’écologie, un slogan du militant brésilien Chico Mendès, assassiné en 1988, a beaucoup été repris dans les mobilisations pour le climat en France : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. » Sortie de son contexte politique – la lutte pour les droits des seringueiros, ces ouvriers des plantations d’hévéa en Amazonie, et la préservation de la forêt –, la phrase a pu se charger d’une connotation négative à l’égard des cultures potagères ou récréatives des particuliers.

En lisant le livre de la géographe Flaminia Paddeu, Sous les pavés la terre. Agricultures urbaines et résistances dans les métropoles (Seuil, 2021), on comprend très vite que l’agriculture urbaine est bien plus qu’un enjeu horticole, et même potager : elle soulève des questions de justice sociale et foncière, et s’y mènent des batailles pour le droit à la ville. Mais c’est aussi un redoutable laboratoire de capitalisme vert et de néolibéralisme urbain, avec ses start-up spécialisées en tomates sur les toits et ses soirées privées avec vigiles postés à l’entrée.

Les 14 et 15 mai, à l’occasion des 48 heures de l’agriculture urbaine, des centaines de jardins et parcelles ont ouvert leurs portes aux curieux et curieuses, et distribuer plants, semis et conseils pour réussir son compost ou fabriquer une mini serre dans une bouteille en plastique.

Quel monde fabrique-t-on quand on cultive des courges en pied d’immeuble ? À quoi servent les jardins potagers ? Qui y a accès ? L’agriculture urbaine rend-elle possible l’autonomie alimentaire des métropoles ? L’autrice explore une à une ces interrogations et y apporte des réponses qui font un sort aux clichés les plus répandus : non, faire pousser des légumes en ville n’est pas qu’un divertissement de bourgeois en manque de résidence secondaire.

Et oui, installer des carrés potagers dans une friche peut valoriser un foncier délaissé et profiter aux promoteurs immobiliers. Le monde est complexe et les multiples pressions pesant sur les habitant·es des villes, en particulier dans les quartiers populaires, font des jardins vivriers le théâtre de tendances contradictoires.

Pour Flaminia Paddeu, l’agriculture urbaine dans les grandes métropoles du Nord constitue non seulement le produit de résistances à l’Anthropocène, cette ère géologique où les êtres humains ont un tel impact sur le monde qu’ils en bouleversent le système et les cycles naturels, mais révèle aussi les contradictions de ses tentatives de dépassement. « Il est plus facile de faire revenir les gens à la terre que de faire revenir la terre aux gens. Ces agricultures sont contraintes de prendre place dans les ruines du capitalisme urbain : les espaces interstitiels parfois toxiques, à l’horizon d’occupation précaire. » 

Nourri d’enquêtes de terrain aux États-Unis, à Detroit et à New York, ainsi que dans la périphérie parisienne, et notamment en Seine-Saint-Denis, Sous les pavés, la terre s’efforce de réunir dans un même cadre des pratiques disparates.

Il y a les parcelles particulières auxquelles on accède dans des jardins ouvriers ou familiaux fermés à clef, les bacs sur le balcon, les jardins partagés et donc collectifs, les espaces cultivés par des associations, les productions commercialisées par des entreprises spécialisées.

On y pratique aussi bien le maraîchage, que l’arboriculture, la viticulture, l’apiculture, l’élevage. En ville, ces espaces se caractérisent par leur exiguïté, une productivité variable, et une multifonctionnalité forte, explique l’autrice : on ne jardine pas seulement pour se nourrir, mais aussi pour se détendre, prendre du temps pour soi, voir des ami·es, transmettre à ses petits-enfants, penser à son pays ou à sa région d’origine. 

Mais il y a bien un geste commun à toutes ces formes de pratiques : cultiver sa nourriture en ville, dans un espace privé de sa capacité alimentaire par 150 ans d’histoire d’urbanisation et d’industrialisation. Depuis la rupture métabolique entre les villes et les flux naturels assurant la subsistance de leurs habitant·es, théorisée par Marx à la fin du XIXe siècle, jusqu’aux dernières grandes terres fertiles d’Île-de-France aujourd’hui menacées par le Grand Paris dans le Triangle de Gonesse ou à Saclay, l’histoire de la destruction des espaces vivriers dans les métropoles occidentales est longue.

Elle ne déroule pas le récit d’une fatalité sans issue mais est bien la conséquence de décisions politiques, autour d’une division des tâches entre villes et campagnes. C’est ce partage historique que l’agriculture urbaine vient troubler, d’où les résistances qu’elle rencontre.

Lire l’article complet dans Médiapart.

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