Bagnolet est concerné par la question de l’efficacité énergétique des flux de marchandises : ces flux sont responsables de 15,1% des émissions de CO2, dont la moitié par la circulation des poids lourds, et l’autre moitié par des véhicules utilitaires de plus faibles gabarits [1]. Cet article est la continuation des réflexions issues de la rencontre avec Laetitia Dablanc, Urbaniste, Directrice du laboratoire Logistics City à l’Université Gustave Eiffel – Marne-la-Vallée (lire l’article précédent la face cachée de la livraison à domicile). Il traite de l’urbanisme de la logistique, ou la question de savoir où construire les entrepôts et les hôtels logistiques.
La livraison et son espace en ville
On l’a vu dans l’article précédent, pour une vraie logistique dite du dernier kilomètre, celle qui relie les consommateurs à leur commerçants, il faut compter avec des livraisons en modes doux. Le vélo-cargo, ou la remorque vélo, éventuellement à assistance électrique, permet largement de transporter la plupart des livraisons courantes, alimentaires ou colis. Cela dit, les pistes cyclables déployées le plus couramment ne permettent pas le passage de remorques volumineuses ou de vélos-cargo importants. Sans doute faudra-t-il voir l’équation de l’espace dévolus aux différents modes autrement : la voie principale sera sans doute empruntée par une mixité de modes, cyclistes aguerris et livreurs à vélo dans le flux majeur, les pistes protégées étant toujours nécessaires pour les familles et les écoliers ?
Par ailleurs, et c’est particulièrement vrai en France, nos aires de livraisons ne fonctionnement pas, elles servent pas aux livreurs qui préfèrent le stationnement en double-file, pour ne pas dire en pleine voie. Une étude réalisée pour les prospectives de programmation de la porte de Bagnolet chiffrait à 1000 heures par jour le nombre d’heures de stationnement en double-file sur la ville ! Partout en France, les contrôles réalisés par des agents assermentés restent insuffisants. Sans doute faut-il étudier la réussite de villes comme Barcelone, qui a mis en place une application obligatoire pour les livreurs qui s’enregistrent sur l’application à chacun de leur arrêt qui ne doit excéder 30 minutes. Les places de livraisons sont nombreuses, par petites zones de services de 3 ou 4 places, mieux identifiables. La verbalisation est dissuasive.
Géographie de l’immobilier de la logistique
Le plus vertueux consiste donc à passer par de grands entrepôts logistiques qui assurent la redistribution en camions électriques aux commerces locaux ou points de redistribution, comme les « lockers », ces consignes déployées dans les lieux de passage, les gares, centres commerciaux, etc.
Quelle est la bonne distance pour un entrepôt logistique ? Le rayon d’action d’un camion électrique permet largement de positionner ces entrepôts en très grande couronne, à plusieurs dizaines de kilomètres du centre. Une ville à moins d’1 millions d’habitants peut être approvisionnée par des entrepôts beaucoup plus lointains à condition de renoncer au tout électrique. C’est d’ailleurs principalement le prix de location de l’immobilier qui préside au choix des acteurs du domaine, par exemple 150 € du m2 par an à Charenton et 50 € en Seine-et-Marne.
La crise du COVID a mis en lumière la criticité de la chaîne logistique. Elle a favorisé l’augmentation du B2C, et entraîné une augmentation de 30% de la surface d’entrepôts en Ile-de-France. D’après Laetitia Dablanc, la densité d’entrepôts pourrait encore largement augmenter, même en petite couronne pour favoriser une distribution plus efficace au plus près du consommateur.
On note cependant une inégale répartition de l’implantation des messageries entre l’ouest et l’est. Le laboratoire Logistic City a établi la carte des flux logistique du territoire de Grand Paris Seine Ouest. Un unique entrepôt se situe à l’intérieur du territoire, tous les autres en petite couronne et dans les grandes périphéries Sud et Est.
Il est vrai que la construction d’entrepôts logistiques entraîne des nuisances pour l’entourage : pollution des poids-lourds de forts tonnage, bruits, encombrements et éventuels désordres sur la voirie, danger pour la sécurité des personnes (les conducteurs sont dans des cabines surélevées peu faites pour bien identifier le trafic urbain piéton et modes doux), coefficient de pleine terre faible et création d’îlots de chaleur…
Les prestataires acteurs du domaine préféraient donc jusqu’à présent des entrepôts plus gros, en grande couronne. Avec la raréfaction de l’immobilier, la tendance est cependant à construire désormais en hauteur, avec 4 à 5 étages, comme Amazon avec des entrepôts récents aux États-Unis de 350.000 m2, mais seulement 70.000 m2 au sol, et une emprise foncière plus importante pour aménager des places de parking autour.
Des prestataires comme Géodis ou UPS expérimentent actuellement la construction d’entrepôts en petite couronne, avec des surfaces souvent bien moindres : 10.000 à 5.000 m2. En plein Paris, Chronopost a ouvert « hub » logistique de Beaugrenelle de 3000 m2. Elle redistribue 75 tonnes par jour, livrés par poids lourds diesel 19 tonnes 2 ou 3 essieux. Cela représente 5000 colis renvoyés par plus de 30 tournées de 150 colis chacune. L’agence tourne correctement, avec une efficacité de redistribution du dernier kilomètre, proche du consommateur.
A côté, c’est l’ancien Centre Commercial Beaugrenelle dont le dimensionnement et des voiries alentour sont probablement trop justes : les flux débordent dans la rue. Les circulations de ce type ne sont pas adaptées à la ville et sont un danger pour la sécurité routière des habitants.
A Bagnolet, le projet de logistique urbaine avenue Gallieni prévoit plus de 35.000 m2 de surface de plancher répartis sur 7 étages.
Occupation temporaire ou « multiplexage »
Notons la possibilité de panacher, sur un même lieu mais selon les horaires de la journée, la programmation de l’occupation. Par exemple, Franprix a déployé un dispositif de transport fluvial entre Bonneuil en Seine et Marne et le Quai de la Bourdonnais. Les conteneurs sont déjà organisés par magasin. A leur arrivée Quai de la Bourdonnais, ils sont rapidement pris en charge par un camion. Le quai est libéré une heure après et rendu à la promenade des parisiens. Depuis 10 ans, la moitié des marchandises de tous les Franprix parisiens est livré par ce dispositif.
De même, certains dépôts de bus de la RATP servent en journée de base logistique pour la redistribution du dernier kilomètre.
[1] Les métamorphoses de la logistique territoriale, Terra Nova, 26 octobre 2022
[2] Le Grand Paris Seine Ouest, Un territoire servi par la logistique : diagnostic territorial de la logistique urbaine, Vincent Escarfail, 22 sepetmbre 2021 https://www.lvmt.fr/wp-content/uploads/2021/10/2021-Memoire-Vincent-Escarfail.pdf
[3] L’immobilier logistique urbain et périurbain, Welcome to Logisitcs City n°3 2022- 2023 https://www.lvmt.fr/wp-content/uploads/2019/10/Logistics-City_n3-web-pages-FR-1.pdf