Le devenir d’une ville dépend assurément des circulations et des modes de circulations auxquels elle invite. Observateur attentif des usages relatifs aux mobilités, le journaliste et auteur Olivier Razemon, à l’invitation de la Librairie Les Beaux Lendemains, a accepté de nous partager ses récits. Certaines de ses idées commencent à s’appliquer à Bagnolet.
Habiter une ville, c’est pour beaucoup s’y déplacer. Depuis des années, avec ses chroniques du journal Le Monde, et son blog L’interconnexion n’est plus assurée, Olivier Razemon est devenu un spécialiste de l’urbanisme étudié méthodiquement selon des angles inattendus, celui des mobilités, celui du béton, ou encore celui des usages intermittents de l’espace public. On attribue à Goethe une méthode d’observation de la nature associant aux données scientifiques l’usage de tous les sens pour comprendre, par exemple, d’une part le cycle de développement de tous les végétaux, puis d’autre part les spécificités de chacun d’entre eux. M. Razemon me fait l’effet d’appliquer une méthode similaire à la compréhension des villes. Au-delà d’une documentation importante sur les décisions d’aménagement qu’il a compulsée, il a posé ses valises dans quantité de villes de l’hexagone et de bien d’autres en dehors, avec cet appétit de capter le caractère propre à chacune, mais aussi les processus qui président à leur évolution.
Et il faut bien le dire, l’un de ses ouvrages titre « Comment la France a tué ses villes » [1], où est décrit le processus de nécrose de nombreuses villes. Il y analyse l’effet de « l’idéologie sociale de la bagnole », comme le disait André Gorz, sur l’aménagement du territoire. L’accès massif des ménages à l’automobile permet l’étalement urbain avec d’une part des zones pavillonnaires qui dépeuplent les centres villes, et d’autre part l’implantation de vastes zones commerciales aux abords des villes [2]. Ces nouveaux centres commerciaux périphériques vident les centres historiques de leur activité commerciale.
Devant ces constats, les municipalités tentent de réagir, avec des politiques parfois diamétralement opposées. Certains, veulent soutenir l’activité de centre-ville dans une logique de compétition avec la zone commerciale de périphérie. Ils favoriseront l’accès automobile au centre-ville, et transforment, comme à Béthune, dans le Pas-de-Calais, la Grand place historique en parking.
Or les études sur le panier moyen du consommateur révèlent que la tendance est à un panier plus petit, correspondant aux compositions familiales actuelles avec peu de personnes, célibataires, foyers monoparentaux, couples sans enfant ou avec enfant unique, etc. Partant de là, n’est-il pas envisageable de faire ses courses à pied ou à vélo ? C’est le pari inverse, des municipalités qui choisissent de rendre l’espace public en ville plus agréable à vivre et à « habiter » en équilibrant davantage les circulations en faveur des piétons et des cyclistes, et en développant des commerces dans chacun des quartiers de la ville, et non pas dans le seul centre. Bagnolet bénéficie d’un faible taux de motorisation des ménages. C’est une chance ! Sachons développer l’aménagement de notre ville pour qu’elle respire et qu’elle vive.
L’ouvrage d’Olivier Razemon [1] (édition 2017) s’achève sur 40 mesures pour comprendre la crise urbaine et y remédier. Voici quelques-unes des mesures qui sont développées à Bagnolet :
Connaitre la vacance commerciale réelle, quartier par quartier
Contacter les propriétaires de locaux commerciaux vides, chercher à comprendre pourquoi ils ne louent pas leur bien. A Bagnolet, une taxe sur les locaux vacants a été mise en place.
Maîtriser le foncier […], racheter les fonds de commerce et les louer à un prix correspondant au marché. Investir les boutiques de superficie réduite. A Bagnolet, avec le programme « Centre Ville Vivant », la ville a préempté une boutique de taille réduite mitoyenne d’une autre dont elle est propriétaire, afin de les regrouper pour les mettre à la location.
Inciter les commerçants à ouvrir des comptes sur les réseaux sociaux et à procéder au référencement en ligne. Cette mesure a été prise pendant la période de pandémie pour faciliter l’accès des Bagnoletais.e.s à leurs commerces.
Emettre une monnaie locale. La Pêche, en cours à Montreuil, a parfois passé les limites communales pour des échanges à Bagnolet.
Indiquer sur des panneaux positionnés à hauteur d’être humain les distances et les temps parcourus à pied ou à vélo. A Bagnolet, avec le programme « Centre Ville Vivant », une étude est en cours pour la signalisation des points d’intérêts du centre-ville pour les piétons et les cyclistes.
Lancer des expérimentations. A Bagnolet, des expérimentations d’occupation intermittente de l’espace public sont en cours, notamment avec une première rue aux écoles Rue Paul Bert, devant la maternelle Jules Ferry, dans le quartier des Coutures. La règlementation des circulations est également modifiée pour des manifestations comme les brocantes, et peut être appliquée à d’autres types de manifestations commerciales ou non, après demande auprès de la Ville. Prochainement, les rues Raoul Berton et Marie-Claude et Paul Vaillant Couturier seront ouvertes aux circulations douces.
Valoriser les transports publics. Avec Est Ensemble, la Ville de Bagnolet poursuit son dialogue avec Ile-de-France Mobilités pour soutenir la qualité du service des bus à Bagnolet.
Remplir les parkings en ouvrages. Trop souvent, les parkings sont considérés […] comme des sources de recettes un peu honteuses […]. Or, les parcs en ouvrage sont d’abord des outils d’urbanisme. Ils permettent de stocker des voitures, qui libèreront ainsi de l’espace en ville. A Bagnolet, le parking Cœur de ville permet l’accès au centre-ville. Dans les quartiers, les bailleurs font des efforts pour favoriser l’usage des parkings en ouvrage. Aidons-les !
Profiter de la réforme du stationnement payant, à la fois décentralisation et dépénalisation, intervenue en janvier 2018. A Bagnolet, le projet de restauration d’un stationnement payant sur les axes les plus commerçants et au centre-ville est en cours.
Valoriser la ville, son apport à la société, à la culture, et à la vie démocratique. Le citadin n’est pas seulement un consommateur, il est un flâneur, un citoyen, un promeneur… Redonner envie aux gens d’habiter en ville, de faire ville, c’est la première des recommandations !
Merci citoyen Razemon !
[1] Comment la France a tué ses villes, Rue de l’échiquier, 2017 (ISBN 978-2-37425-087-0)
[2] : Dans [1] p.112 « La France n’abrite-t-elle pas la plus grande densité de surfaces commerciales d’Europe, comme l’indique un rapport du Sénat en 2005 ? […] Et l’inquiétude gagne certains élus. En 2012, l’Associations des communautés de France (AdCF), fédération regroupant les 1200 structures intercommunales, avertit : « Dans les périphéries des agglomérations grandes et moyennes, la multiplication anarchique des implantations commerciales s’est accompagnée d’une consommation foncière excessive. Les centralités urbaines se fragilisent, et le processus de banalisation des paysages d’entrée de ville se poursuit.» »
*Bibliographie d’Olivier Razemon
Les Transports, la Planète et le Citoyen (avec Ludovic Bu et Marc Fontanès), Rue de l’échiquier, 2010 (ISBN 978-2-917770-12-2)
La Tentation du bitume – Où s’arrêtera l’étalement urbain ? (avec Éric Hamelin), Rue de l’échiquier, 2012 (Préface de Roland Castro) (ISBN 978-2-917770-32-0)
Le Pouvoir de la pédale, Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, Rue de l’échiquier, 2014 (ISBN 978-2917770-59-7)
[1] Comment la France a tué ses villes, Rue de l’échiquier, 2017 (ISBN 978-2-37425-087-0)
Chronique impatiente de la mobilité quotidienne, Rue de l’échiquier, 2019 (ISBN 2374251322)
« Les Parisiens », une obsession française, Rue de l’échiquier, février 2021 (ISBN 978-2-37425-261-2)