La capitale se divise désormais, à l’Assemblée, entre des députés écologistes et « insoumis » et des députés macronistes. Analyse détaillée de Denis Cosnard dans Le Monde.
Plus aucun député Les Républicains (LR) dans la ville qui fut celle de Jacques Chirac. Plus aucun socialiste dans celle d’Anne Hidalgo. A Paris, le « monde d’avant » est définitivement enterré. Les deux grands partis qui ont si longtemps structuré la vie politique française, et donné chacun plusieurs maires à la capitale, sont désormais effacés du paysage parisien tel que le reflète la nouvelle Assemblée nationale. A la place, une moitié de députés macronistes, une autre d’élus écologistes et « insoumis ». Une nouvelle droite et une nouvelle gauche, dans un parfait face-à-face. Tel est le bilan, spectaculaire, du second tour des législatives à Paris.
Par rapport aux précédentes élections législatives, le changement se révèle impressionnant. En 2017, dans la foulée de l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, ses soutiens avaient obtenu des résultats brillants à Paris. Sur les dix-huit circonscriptions en jeu, douze avaient été conquises par La République en marche (LRM), et une par le MoDem. Une quatorzième devait leur revenir plus tard, avec le ralliement de Pierre-Yves Bournazel (LR). Une vraie razzia. La gauche et la droite classiques, elles, n’avaient pu garder chacune que deux circonscriptions.
Cinq ans plus tard, le scrutin du 19 juin rééquilibre nettement le jeu. Portée par la dynamique de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), la gauche reprend sept circonscriptions à la majorité présidentielle, et obtient au total neuf députés sur dix-huit. Lors des tractations sur les investitures au sein de la Nupes, les négociateurs avaient estimé que neuf circonscriptions parisiennes étaient gagnables. Contrat rempli.
Une première sous la Ve République
Quatre députés macronistes sortants, Laetitia Avia (8e), Buon Tan (9e), Anne-Christine Lang (10e) et Pierre-Yves Bournazel (18e), doivent ainsi laisser leur place. La majorité présidentielle limite cependant la casse. Deux ministres candidats à Paris obtiennent d’extrême justesse leur ticket pour l’Assemblée. Stanislas Guerini sauve son siège à 51 % face à l’écologiste Léa Balage El Mariky. Victoire tout aussi étroite (50,73 %) pour Clément Beaune, confronté à l’avocate Caroline Mecary (LFI). Un succès pour les deux hommes, compte tenu du retard qu’ils accusaient à l’issue du premier tour. Aucun des deux n’aura à quitter le gouvernement. La porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, elle, est réélue sans coup férir (68,51 %) dans la 12e circonscription, tout comme Sylvain Maillard (1re) et Gilles Le Gendre (2e).
De plus, LRM réussit à conquérir les deux circonscriptions de l’ouest que la droite LR était parvenue à conserver jusqu’à présent. Dans le 17e arrondissement, Astrid Panosyan-Bouvet, une fidèle d’Emmanuel Macron depuis la fondation d’En marche ! en 2016, décroche son premier mandat électif en délogeant assez facilement Brigitte Kuster. Certains, comme Bruno Le Maire, prédisent déjà une ascension éclair à cette ancienne conseillère d’Emmanuel Macron à Bercy. Il est possible que, après son élection, « elle entre au gouvernement », avait glissé le ministre de l’économie au suppléant de la candidate durant la campagne.
Encore plus frappant : dans le 16e arrondissement, bastion conservateur entre tous, un ancien UMP passé en Macronie et tout juste revenu des Etats-Unis, Benjamin Haddad, est élu à 36 ans. Son adversaire LR, Francis Szpiner, espérait succéder aisément à Claude Goasguen, l’ancien député et maire décédé en 2020. L’avocat se voyait déjà laisser la mairie du 16e arrondissement à son premier adjoint. Son aura de ténor du barreau n’a pas suffi à lui assurer la victoire. Si bien que la droite traditionnelle, qui avait remporté la quasi-totalité des sièges de députés parisiens en 1993, n’en a désormais plus un seul. Une première sous la Ve République.
Au total, les macronistes et la Nupes obtiennent chacun neuf députés, et la carte politique de Paris retrouve une forme assez habituelle. La capitale est coupée en deux, selon une ligne classique depuis plus d’un siècle. A l’est, les quartiers populaires et « bobos » plébiscitent la gauche. Dès le premier tour, ils avaient envoyé trois élues Nupes à l’Assemblée : Danièle Obono, Sophia Chikirou et Sarah Legrain. Six autres les rejoignent à présent. A l’ouest et au centre, les arrondissements les plus bourgeois, ceux où le mètre carré coûte le plus cher, votent à droite.
Nombreuses questions
A gauche, tout s’est joué lors des investitures. Des discussions dominées par La France insoumise (LFI), compte tenu du relatif succès de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. « Sur les neuf circonscriptions gagnables par la gauche, sept ont été attribuées à LFI, deux aux écologistes, et… zéro aux socialistes, pestait, début mai, David Assouline, le patron du PS parisien. Pour ne rien laisser à des partenaires aussi implantés que nous le sommes, il faut vraiment le vouloir ! »
Le résultat est à peu de chose près celui attendu. Trois écologistes de premier plan deviennent députés de Paris : le patron du parti Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, l’écoféministe Sandrine Rousseau et l’ex-députée de l’Essonne Eva Sas. Six représentants de LFI sont également élus, dont l’ancien journaliste Aymeric Caron, défenseur de la cause animale, et Rodrigo Arenas, ex-coprésident de la Fédération des conseils de parents d’élèves.
Quant aux socialistes parisiens, ils restent effectivement à la porte du Palais-Bourbon. Malgré le soutien appuyé de la maire de Paris, Anne Hidalgo, ni Marine Rosset ni Olivia Polski, les deux candidates socialistes investies par la Nupes, n’ont été élues. Pas plus que Lamia El Aaraje, l’ex-députée du 20e arrondissement qui avait maintenu sa candidature. Malgré le soutien du PS, un cas unique en France pour une dissidence, elle perd la bataille des deux gauches, en recueillant 41,55 % des voix, contre 58,45 % pour la candidate officielle de la Nupes, Danielle Simonnet. Après trois essais infructueux, cette figure de LFI dans l’est de Paris entre ainsi à l’Assemblée. Elle va simultanément quitter le conseil de Paris, où elle représentait depuis des années la principale opposition de gauche à Anne Hidalgo.
A gauche comme à droite, ce remplacement des vieux partis par des mouvements plus neufs ouvre de nombreuses questions. A Paris, ni le PS ni LR n’ont encore disparu. Au conseil municipal, ils mènent toujours la danse. Anne Hidalgo tient la mairie. Sa rivale, Rachida Dati, reste son opposante numéro un et espère lui succéder. Les autres partis demeurent plus marginaux. Mais cette répartition des rôles confirmée lors des dernières municipales peut-elle durer ? Le PS et LR sont-ils voués à laisser la place aux écologistes, aux « insoumis » et aux macronistes ? Peuvent-ils retrouver un espace politique, comme en 2020, lorsque Anne Hidalgo avait été largement réélue après avoir été donnée pour morte ? Une certitude : à Paris, le résultat de dimanche ne peut que réveiller les ambitions des écologistes, de LFI et de LRM. Et forcer leurs concurrents à se réinventer, ou à périr.