Jean-Claude Oliva a été élu à l’unanimité président de la régie publique de l’eau d’Est Ensemble mardi 8 novembre. Voici les propos qu’il a tenu à cette occasion.
Chères et chers collègues, mesdames et messieurs,
Je vous remercie sincèrement toutes et tous pour votre confiance.
L’installation du CA et mon élection comme président marquent une nouvelle étape dans la mise en place de la régie. Comme vous le savez, rendre l’eau publique a été un long processus commencé en 2010 à la création d’Est Ensemble, alors communauté d’agglomération, qui prit en charge la compétence de la gestion de l’eau, facultative à l’époque pour les intercommunalités. Il a fallu douze ans de réflexions et de débats pour parvenir à la décision politique unanime de créer la régie publique en février 2022. Et maintenant le temps s’accélère, pour arriver à un fonctionnement opérationnel de la régie au 1er janvier 2024. Douze ans pour s’informer, débattre et décider et deux ans pour mettre en œuvre ! Comme quoi, le temps long, ça existe aussi en politique…
Ce résultat doit beaucoup aux élu.e.s d’Est Ensemble qui ont su au fil des années, s’informer, débattre et, pour un grand nombre d’entre eux, évoluer dans leurs positions. C’est une démonstration de la force de la politique. La politique est souvent décevante pour les citoyennes et les citoyens. Mais elle peut aussi se concentrer sur un projet et réussir à le faire aboutir.
Je tiens à remercier Patrice Bessac, président d’Est Ensemble, d’avoir su prendre le taureau par les cornes et j’ai une pensée aussi pour son prédécesseur, Gérard Cosme, qui avait amorcé le virage en faveur de la régie.
Ce résultat doit beaucoup aux citoyennes et aux citoyens. Le pouvoir des citoyennes et des citoyens n’est pas un vain mot. Il ne s’exerce pas seulement au moment des élections. Des citoyennes et des citoyens de notre territoire, des associations, sont parvenu.e.s au fil des années à faire passer leurs idées sur la gestion de l’eau et à se faire entendre des élu.e.s de toutes les tendances politiques. Notre territoire d’Est Ensemble n’est pas un cas isolé. Dans le domaine de l’eau, il y a un véritable mouvement dans ce sens, en Île-de-France, dans tout notre pays et au niveau international.
La gestion de l’eau est une compétence locale, autrefois communale et aujourd’hui intercommunale ou territoriale. Cette dimension de proximité explique sans doute en grande partie le succès du combat pour son retour en gestion publique, à Est Ensemble comme ailleurs. Il est plus facile de gagner une décision à cette échelle qu’au niveau national, plus facile de se faire entendre d’un conseil municipal que d’un gouvernement ou …du comité d’un grand syndicat comme le SEDIF. En passant du SEDIF à une régie publique territoriale, nous avons fait le choix de la démocratie de proximité, de mettre la gestion de l’eau sous le contrôle des élu.e.s locaux.les et à la portée des citoyennes et des citoyens.
Un autre facteur important du succès, c’est la pluralité des actions portées par les citoyennes et les citoyens, les associations, les forces politiques, les élu.e.s. et leur convergence. Côté institutionnel, nous avons eu depuis fort longtemps des vœux en faveur de la gestion publique, votés au sein des conseils municipaux, des débats au sein des assemblées, des dossiers dans les journaux municipaux et même des votations citoyennes… Côté citoyen, de multiples initiatives ont vu le jour : des projections-débats, des performances artistiques dans la rue, des pétitions, des manifestations, des plaidoyers associatifs, des recours juridiques parfois… Entre la désobéissance civile et la gestion des affaires publiques, entre les activistes et les élu.e.s, il y a bien sûr des différences, mais il y a aussi, si ce n’est une continuité, au moins une forte convergence dans la défense et la promotion des communs. Je tiens à le rappeler quand on entend ces jours-ci le vocable « écoterrorisme » dans la bouche d’un ministre…
Enfin ce résultat doit beaucoup aussi à l’équipe technique et administrative d’Est Ensemble qui nous accompagne et que je voudrais saluer et remercier une fois encore. Une mention spéciale pour Pierre Junker, le directeur de la préfiguration, pour son enthousiasme et son dynamisme.
Si Est Ensemble a pu s’appuyer dans son choix sur les nombreuses avancées dans la gestion publiques de l’eau intervenues ces dernières années, à commencer par la réussite d’Eau de Paris, Est Ensemble a ouvert une nouvelle brèche en obtenant la sortie des villes de Bobigny et de Noisy-le-Sec du SEDIF. Ce n’était jamais arrivé, sauf changement de compétence. Ainsi le maire d’Athis-Mons a d’ores et déjà indiqué son intention de s’engouffrer dans la voie que nous avons ouverte. D’autres vont suivre sans doute.
Maintenant, nous sommes toutes et tous ensemble à pied d’œuvre. Il s’agit de passer aux travaux pratiques, à la traduction concrète du choix politique qui a été fait. Notre objectif est de parvenir au démarrage opérationnel de la régie le 1er janvier 2024 à 0 heure. Autant vous dire que le compte à rebours est commencé. Une série de chantiers nous attendent.
Le premier chantier, sans doute le plus important, est la remise à plat des tarifs. Les tarifs, c’est un sujet de mécontentement au SEDIF. Il y a deux injustices importantes. Les petits consommateurs paient davantage au m3 que les gros (du fait de l’abonnement et du tarif dégressif). Les personnes en habitat collectif paient l’eau environ 30% plus cher qu’en habitat individuel. Je ne vais pas entrer ce soir plus avant dans l’analyse des mécanismes, nous aurons l’occasion d’en discuter de façon approfondie.
Avec le passage en régie, nous allons avoir de nouvelles marges de manœuvre financières et toute la question est de savoir qui va en bénéficier. C’est l’enjeu de l’élaboration de la nouvelle tarification. Il y a toute une palette de possibilités : suppression de l’abonnement, première tranche gratuite pour une certaine quantité de m3, tarification différenciée selon les usages, …les idées ne manquent pas. Il faudra vérifier qu’elles atteignent bien l’objectif d’assurer le droit humain à l’eau pour tou.te.s et que les plus défavorisé.e.s en soient les bénéficiaires.
La question des tarifs appellera un débat entre nous, mais aussi avec tou.te.s les élu.e.s d’Est Ensemble et avec la population. Elle nécessitera aussi d’ouvrir des discussions avec les bailleurs sociaux et les syndics, vu l’importance de l’habitat collectif dans notre territoire (qui concerne 82% des habitant.e.s)
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur une bifurcation sensible entre nos tarifs et ceux du SEDIF, à partir du 1er janvier 2023. En effet, depuis le 1er janvier 2021, Est Ensemble est devenu autorité organisatrice de plein exercice de l’eau sur son territoire, à la place du SEDIF. Sur les 1,33€/m3 facturés aux usagers pour l’eau, 0,91€/m3 reviennent à Véolia Eau d’Ile-de-France (VEDIF) et 0,42€/m3 à Est Ensemble (et non plus au SEDIF). Pour ce qui le concerne, le SEDIF augmentera ses tarifs de 21,5% à partir du 1er janvier 2023 et VEDIF de 5,5%. La hausse de la part SEDIF ne s’appliquera pas à Est Ensemble, celle du VEDIF, oui. Au total, sur la part eau de la facture, les usagers du SEDIF subiront une hausse de 10,5% et ceux d’Est Ensemble de seulement 3,8%. Le choix de la gestion publique porte déjà ses premiers fruits. Dans un cas, une hausse près de deux fois supérieure à l’inflation ; dans l’autre, une protection des usagers avec une hausse nettement inférieure à l’inflation.
Si le SEDIF procède à une telle hausse, c’est pour deux raisons. Avec le départ d’Est Ensemble et de la moitié des villes du Grand Orly Seine Bièvre, le SEDIF à perdu 17% de son périmètre historique, mais il fait le choix de ne pas réduire la voilure et de conserver la même infrastructure et donc les mêmes frais. D’autre part, il se lance dans un plan d’investissements colossal de 870 millions d’euros pour les prochaines années avec l’installation d’une technologie très coûteuse : l’osmose inverse basse pression… Les usagers d’Est Ensemble n’auront donc pas à financer ces investissements qui ne les concernent pas.
Un autre chantier important est le recrutement du personnel de la régie. Vous le savez, notre régie va couvrir à la fois l’eau potable, l’assainissement et les eaux de pluie urbaines. Depuis un an, la direction de l’eau et de l’assainissement d’Est Ensemble, qui comprend l’assainissement stricto sensu et un pôle hydrologie urbaine, s’est sérieusement renforcée pour atteindre 35 personnes. Dans un an, nous devrons avoir au total environ 90 salarié.e.s pour assurer toutes les missions dans les trois domaines. Vous mesurez bien le défi que cela représente.
L’adhésion à la convention nationale des entreprises des services d’eau et d’assainissement, dont nous parlerons tout à l’heure, s’inscrit dans cette perspective.
Nous serons certes confrontés à une difficulté pour recruter dans les métiers les plus qualifiés, actuellement en tension (comme les ingénieurs). Mais les salarié.e.s de Veolia ont vu leurs conditions de travail se dégrader ces dernières années et leurs métiers évoluer vers une spécialisation à outrance pour dégager davantage de profit pour l’entreprise. La régie peut leur offrir la perspective de renouer avec le sens de leur métier.
Nous allons devoir réfléchir ensemble à la réhumanisation du service public de l’eau. Le combat pour faire appliquer l’interdiction des coupures d’eau a marqué les esprits. Les coupures d’eau n’existent pratiquement plus, mais les impayés, s’ils n’ont pas explosés comme on nous le prédisait, existent encore. A l’origine de ces difficultés pour les ménages, il y a souvent des litiges sur les compteurs, sur les factures, l’absence de relevés pendant des années, suivie d’une régularisation brutale, une fuite d’eau, etc. La régie devra développer une relation humaine de qualité avec les usagers, dans une approche qui ne sera plus exclusivement économique. Ainsi l’ouverture d’un guichet pour recevoir les usagers est à l’ordre du jour. Au-delà, en s’inspirant de ce qui a été fait pour les coupures d’eau, il faudra envisager un dispositif pour informer les usagers de leurs droits et pour les aider à les faire valoir.
Dans nos chantiers, il y a bien sûr, la place des citoyen.ne.s. La part qui leur est faite au CA de la régie avec les trois citoyen.ne.s issues de la convention pour le climat, les représentant.e.s associatifs et les personnes qualifiées, est une première réponse. Mais il s’agit de ne pas en rester là. J’ai évoqué déjà la nécessité de mettre en débat la question des tarifs. Plus largement, la question de l’information me semble décisive. Dans le domaine de l’eau, il y a jusqu’à présent beaucoup de communication mais peu d’informations pertinentes pour les usagers. A partir du 1er janvier 2024, c’est la régie qui enverra les factures. Nous aurons à nous poser la question de leur lisibilité, des infos qui les accompagnent, mais aussi de l’accès à l’info pour la majeure partie de la population qui est dans l’habitat collectif et qui aujourd’hui ne reçoit pas de facture.
Même si, par la force des choses, nous serons dans les prochains mois, concentrés sur la mise en place du service public de l’eau potable au robinet, nous n’oublions pas le droit à l’eau et à l’assainissement pour tou.te.s et notamment, pour les populations non connectées au réseau. C’est une vraie question dans notre territoire qui compte sans doute des centaines de personnes dans l’habitat informel (bidonvilles, cabanes, tentes, squats). La transposition en cours de la directive européenne sur l’eau potable devrait éclaircir les responsabilités des différents acteurs publics dans ce domaine. Il y a aussi depuis quelques mois une certaine effervescence parlementaire sur le droit à l’eau et je ne désespère pas qu’une avancée législative se produise à ce sujet. Je sais que nous pouvons compter sur nos deux personnalités qualifiées, Lucie Bony, sociologue, très investie sur la question des bains-douches, et Catherine Choquet, présidente de la LDH 93, pour nous aider sur ces sujets. En tout cas, nous sommes attentifs et nous serons au rendez-vous du droit humain à l’eau et à l’assainissement.
Enfin je ne peux terminer sans évoquer le changement climatique. Nous venons de vivre le mois d’octobre le plus chaud jamais enregistré depuis le début des relevés de températures, et probablement l’un des plus secs. Nous avons tous en mémoire cet été catastrophique, entre canicules, méga-feux de forêts, inondations et sécheresse. Les événements climatiques extrêmes se sont multipliés partout en France, et ailleurs dans le monde. Mais l’eau représente une chance pour faire face au changement climatique. Sans eau, pas de végétalisation de la ville, sans eau pas de rafraîchissement de l’espace public. La régie notamment par sa compétence eaux pluviales urbaines est appelée à devenir un outil d’action sur ce terrain-là aussi.