Aubervilliers: des jardins ouvriers font les frais du réaménagement urbain

Ils sont un îlot de fraicheur, de biodiversité et de résistance au milieu du béton d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis : plusieurs parcelles des jardins ouvriers « des vertus » vont sans doute disparaître sous le futur solarium de la piscine prévue pour les JO 2024. Paroles de jardiniers. LE REPORTAGE DE LA RÉDACTION par Anne-Laure Chouin (France Culture)

En bas des tours, les jardins ouvriers des vertus à Aubervilliers (93), avril 2020

En bas des tours, les jardins ouvriers des vertus à Aubervilliers (93), avril 2020 Crédits : Anne-Laure CHOUIN – Radio France

L’aménageur (Grand Paris Aménagement) et la mairie ont promis : toutes les parcelles supprimées par le réaménagement de la zone du fort d’Aubervilliers seront compensées, c’est-à-dire qu’on déplacera plus loin les jardiniers touchés, sur des parcelles parfois plus petites ou en friche. Mais à l’heure du réchauffement climatique et d’une pandémie qui remet en question les modes de vies urbains, fallait-il sacrifier les derniers vestiges de la ceinture agricole et ouvrière de Paris ? C’est la question qui est posée à travers la disparition programmée de près de deux hectares de jardins ouvriers dits « des vertus » à Aubervilliers, sous le béton de la future piscine olympique et d’une gare du Grand Paris Express.

Un projet de réaménagement urbain…

Jardins des vertus à Aubervilliers, avril 2020Jardins des vertus à Aubervilliers, avril 2020 Crédits : Anne-Laure Chouin – Radio France

Ils doivent partir avant la fin de ce mois d’avril : 19 jardiniers des parcelles qui accueilleront, en 2024, le solarium de la future piscine olympique d’Aubervilliers. Ils seront relogés dans des jardins mitoyens, sur des parcelles plus petites. Ou bien encore sur un terrain de sport en friche dans le fort d’Aubervilliers tout proche. Adieu les lombrics dont ils avaient contribué à augmenter la population dans leur petit terrain, adieu également les jardiniers voisins devenus des amis, avec lesquels on s’échangeait des recettes et des semis. Sur le papier les dégâts ne sont pas si grands puisque les jardiniers impactés retrouveront un lopin de terre, moins grand toutefois que les parcelles de parfois 200 à 300 mètres carrées initiales. 

Le projet final prévoit, outre la piscine olympique, son solarium et la gare de la future ligne 15, l’érection d’un quartier « mixte »  de 900 logements, avec un groupe scolaire et des espaces verts. Les jardins maraîchers, promet la mairie, seront maintenus. 

Oui mais, font valoir les défenseurs de ces terres gérées par deux associations, mais dont l’Etat est propriétaire, ces jardins sont situés précisément entre le quartier du Fort, qui doit être « désenclavé » selon la mairie, et la future gare du Grand Paris Express. Comment garantir leur intégrité à terme ? Et quand bien même, à l’issue du réaménagement, il y a aura un peu plus de terres artificialisées et un peu moins de terres cultivées. Juste au moment où la préfecture d’Ile-de-France invite les collectifs franciliens de jardiniers à bénéficier des millions d’euros qu’elle consacre à l’agriculture urbaine dans le cadre du plan de relance du gouvernement.

… versus un patrimoine agricole et ouvrier

Brahim, jardine aux vertus depuis 30 ans. Aubervilliers (93), avril 2020Brahim, jardine aux vertus depuis 30 ans. Aubervilliers (93), avril 2020 Crédits : Anne-Laure Chouin – Radio France

Il est loin le temps où 95% de la nourriture consommée à Paris provenait de sas toute proche banlieue et pourtant : les jardins ouvriers ou « familiaux » d’Aubervilliers en sont un vestige. Vestige de la ceinture maraichère de l’Île-de-France, qui s’étendait de Bobigny à Stains, et de Champigny à Alfortville. 

En moins d’un siècle, en Île-de-France, la surface des terres agricoles a diminué de moitié, aux dépens du bâti mais aussi de ces fameux « espaces verts » dont la plus-value est quasi nulle en terme de biodiversité. Mais il est resté, sur ces terres rendues fertiles par des années de cultures, des parcelles dédiées aux ouvriers, pour nourrir leurs familles et occuper leur temps libre (selon l’éthique paternaliste des patrons l’époque). Ces parcelles rectilignes sont gérées par des associations: aux Vertus, à Aubervilliers l’une était socialiste, l’autre catholique. 

Au fait de leur gloire, on recensait, en 1945, 250 000 jardins ouvriers. Qui verront leur nombre chuter avec l’extension des zones périurbaines et leurs logements collectifs. Dans ces jardins jusqu’à aujourd’hui, on mélange les cultures (les jardiniers actuels ont des racines dans toute l’Europe et au Maghreb), les semis, les recettes et on se donne des coups de main, on fait venir la famille quand il fait trop chaud dans les appartements, on fait des barbecues en été, on s’entraide, et depuis quelques temps, on fait même venir des scolaires.

Marie et Viviane, deux jardinières des jardins des vertus d'Aubervilliers, avril 2020Marie et Viviane, deux jardinières des jardins des vertus d’Aubervilliers, avril 2020 Crédits : Anne-Laure Chouin – Radio France

Ces jardins ont d’autres vertus : ils restent des ilots de fraîcheur à l’heure où les épisodes de canicule se font de plus en plus fréquents, des refuges de bio-diversité animale et végétale et un endroit agréable où les habitants des tours des Courtilières, toutes proches, peuvent voir défiler les saisons. Ils sont aussi un espace d’approvisionnement de nourriture fraiche et locale pour leurs cultivateurs, un endroit où venir se mettre au vert dans des espaces où la densité urbaine atteint parfois son seuil critique. C’est la raison pour laquelle une partie des jardiniers des Vertus souhaitent résister à leur démantèlement. Ils ont lancé une pétition (voir lien ci dessous).  Mais les membres de l’association qui gère ces parcelles ont accepté le principe de leur disparition. Dix-neuf jardiniers devront donc quitter leur lopin d’ici la fin du mois. 

Liens utiles :  https://www.jardinsaubervilliers.fr/

https://www.lefortdaubervilliers.fr/le-fort-en-chantier/

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.