« Ainsi, faire référence à la Révolution française serait devenu du fascisme »

Le 6 octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon se référait à la marche des femmes de 1789 pour promouvoir sa « marche contre la vie chère », provoquant ainsi l’indignation de la majorité et l’embarras d’une partie de la gauche. Dans une tribune à « l’Obs », le député LFI Alexis Corbière défend, et assume, cette comparaison historique.

Une polémique étrange, mais révélatrice d’un nouvel imaginaire politique qui veut s’imposer, a accueilli un tweet de Jean-Luc Mélenchon appelant à manifester le 16 octobre « contre la vie chère ». Cet imaginaire porte en lui un nouveau regard idéologique sur la Révolution française et annonce une victoire culturelle de ceux qui n’y voient qu’un épisode sanglant annonçant les grands totalitarismes du XXe siècle.

Parce que c’est lourd de conséquences sur l’identité républicaine de notre pays, ceux qui n’ont pas honte de la Révolution française, et même qui y trouvent une inlassable source d’inspiration, doivent réagir.

Publié le 6 octobre, ce tweet faisait banalement référence à un grand « classique », une date glorieuse de la Révolution française, le 6 octobre 1789 où une manifestation populaire, conduite par les femmes travailleuses de Paris, se rendit à Versailles chercher le roi Louis XVI. Cette manifestation confirmera le rôle du peuple comme acteur politique majeur durant la Révolution, débloquant par son action spontanée des moments à l’issue incertaine. Suite à cette manifestation, le roi viendra s’installer à Paris, où il sera alors accueilli aux cris de « Vive le roi, vive la nation », plaçant définitivement le pouvoir politique dans la capitale et d’une certaine façon sous le contrôle du peuple. A Versailles, les manifestantes obtiennent notamment du roi la signature d’un décret sur les subsistances et la livraison du pain. C’est seulement une fois ramené à Paris que Louis XVI acceptera de promulguer la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pourtant adoptée fin août.

Pour Jean Jaurès, dans son « Histoire socialiste de la Révolution française » : « Les pauvres femmes du peuple qui partirent de Paris le 5 octobre […] qui ramenèrent le roi ont ainsi joué un rôle extraordinaire, un des plus grands à coup sûr qu’enregistre l’Histoire. »

Cette journée du 5 octobre symbolise donc depuis près deux siècles, non seulement le rôle majeur des femmes, mais aussi la force du peuple. Pour le mouvement ouvrier, et ce qu’il est commun de nommer « la gauche », se référer à la Révolution française, et en particulier à la journée du 5 octobre, fut une constante depuis près de cent cinquante ans.

Les réactions politiciennes

Je laisse donc là les détails historiques pour m’intéresser surtout aux réactions politiciennes qu’a suscitées ce tweet et souligner un potentiel basculement idéologique qu’elles illustrent.

Qu’on en juge. Pour un ministre, il s’agit là de « propos factieux ». Pour le porte-parole du gouvernement, un « appel à la violence sociale ». Pour la présidente du groupe des députés macronistes « Faire mieux que d’arriver à emmener le roi et la reine, c’est quoi ? C’est la guillotine pour le président de la République ». Mais pourquoi ? Le roi ne sera exécuté que quatre ans plus tard et pour d’autres raisons. Ainsi, les journées fondatrices de la République, du parlementarisme, de la fin de la violence politique et sociale de la monarchie, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la souveraineté populaire, de la fin des privilèges insolents, de l’abolition de l’esclavage, seraient désormais assimilées à la promotion de la violence politique ? Cette vision globalement « populophobe » de l’histoire est désolante.

Mais les dégâts ne se limitent pas à la garde rapprochée de M. Macron. Faut-il que la culture générale de notre vie politique ait à ce point reculé, y compris dans les rangs de ceux qui se disent « de gauche », pour qu’un sénateur PS, certes en opposition frontale avec la stratégie de la Nupes, déclare : « La haine et la violence, ce n’est pas la gauche. » Ou encore qu’une députée EELV prenne ses distances en précisant « On ne coupe pas de tête. Jamais ». D’autres critiques de Mélenchon ont condamné « les fourches et les têtes en haut des piques ». Mais, ici, où est la haine, la violence, la volonté de couper des têtes ? En réalité, ces réactions expriment une nouvelle vulgate politique sidérante : quiconque évoque la Révolution française et l’action du peuple est un violent, qui veut faire couler le sang dans une ivresse brutale.

Une mobilisation strictement pacifique

J’alerte tous mes amis, et en particulier ceux qui auraient pu être troublés de bonne foi par ces références à la Révolution qu’ils jugent inutiles ou contre-productives. La Révolution est une dynamique complexe qui n’a pu aboutir que grâce aux irruptions du peuple qui ont permis de résoudre des blocages politiques. Sans cela, la seule alternative était la défaite. C’est cette leçon politique que nous voulons diffuser car elle reste d’actualité. Et nous ne confondons pas le contexte de la fin du XVIIIe siècle, qui rendait hélas ! la violence politique parfois inéluctable, et celui de 2022, qui impose au contraire une mobilisation strictement pacifique.

Il faut donc cesser de vivre idéologiquement sous la pression d’une contre-culture hostile à la Révolution française. Sans quoi, demain, on ne fêtera plus la prise la Bastille en raison des 98 morts qu’elle a entraînés, on ne se réclamera plus de la République née dans un moment de quasi-guerre civile en septembre 1792, on apprendra à nos enfants à pleurer l’exécution « injuste » du roi, etc. Ainsi, on assimilera toute mobilisation populaire au rejet de la démocratie, toute manifestation à un coup de force, toute grève à « une prise d’otages », toute critique de la Ve République à des menaces antirépublicaines. Nous y sommes presque. En réponse au tweet de Mélenchon, certains commentateurs médiatiques se sont permis de comparer cela à Donald Trump lançant ses troupes sur le Capitole, où à la marche sur Rome de Mussolini ! Ainsi, faire référence à la Révolution française, ce serait devenu « du fascisme ».

Enfin, à l’attention des historiens qui ont suivi ce débat de façon dubitative, je dirais que je ne confonds pas l’histoire, comme science humaine, et la mobilisation des figures que l’imaginaire politique a construites depuis plus de deux siècles. L’histoire et le discours politique ne se situent pas sur le même plan. Les historiens ne peuvent ignorer que ce dernier mobilise des symboles constitutifs des identités politiques, tout particulièrement pour la tradition du socialisme républicain dont nous nous réclamons. L’usage des symboles n’est pas nécessairement travestissement de l’histoire.

Et en réalité, c’est une banalité de la communication politique de la gauche que de comparer les privilèges des oligarques d’aujourd’hui à la noblesse du XVIIIe siècle, de comparer les pouvoirs exorbitants de président actuel à une monarchie présidentielle. L’usage de l’histoire est le propre de beaucoup de discours politique. Récemment, quand Emmanuel Macron convoque un « CNR », en faisant référence à ceux qui ont libéré la France du nazisme et de Vichy, n’est-il pas dans un anachronisme insupportable puisqu’on pourrait considérer qu’à ses yeux, ceux qui ne veulent pas rejoindre son CNR refusent de résister à l’envahisseur ? Quand il dit encore « Napoléon BONAPARTE est une part de nous », veut-il dire qu’il y a en nous, c’est-à-dire dans le peuple français, le soutien à la fin de la République et au rétablissement de l’esclavage ? Quand il se réclame de Jeanne d’Arc en 2016, pense-t-il que la France est envahie par une puissance étrangère ? Quand il affirme qu’il y a dans la vie politique française un « grand absent » avec la figure du roi, cela signifie-t-il qu’il veut combler cette absence par sa présidence jupitérienne ?

Passion ridicule et réactionnaire

Bref, qui ne voit pas la passion ridicule, et disons-le réactionnaire, à toujours contester ce que dit un responsable de La France insoumise lorsqu’il se réclame de la Révolution française et ses promesses non encore réalisées, quand dans le même temps, on laisse se diffuser des références d’Ancien Régime ou bonapartiste, par les plus hautes autorités de l’Etat, sans aucune réaction. Je le formule autrement : dans cette contre-culture républicaine, évoquer le peuple serait un appel à la violence, rendre hommage aux rois et aux empereurs serait un appel à la grandeur !

La lecture du passé est toujours un combat. Car elle annonce une vision du futur. Faire détester le rôle du peuple durant la Révolution française, c’est le prétexte pour faire détester les idéaux dont il était porteur. Pour ceux qui nous critiquent, 1789 appartient seulement au passé et il est inutile d’y revenir. Pour nous, 1789 appartient au présent et à l’avenir parce que les promesses de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’ont toujours pas été tenues.

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