Adieu bitume!

Finies, les cours d’école vastes, vides, sans ombre et bétonnées ? En France, les initiatives pour les végétaliser se multiplient. Objectifs : lutter contre le réchauffement climatique mais aussi contre le sexisme, permettre des jeux diversifiés et proposer tout simplement un contact avec la nature aux enfants. Reportage dans une école rennaise. Mathilde Sire et Quentin Vernault (Reporterre)

« L’année dernière, en fin d’année scolaire, on a eu des périodes de canicule assez compliquées à gérer. On a été obligé de rassembler tous les enfants dans le petit jardin. À cause de la chaleur, c’était impossible de rester dans la cour de récréation qui était bitumée en noir », raconte Florent Bourcier, responsable éducation loisirs à l’école de l’Ille, à Rennes (Ille-et-Vilaine).

La cour a été entièrement refaite durant l’été. Parcours de pierre, sols en copeaux de bois, nouveaux jeux, coins calmes pour discuter, sol drainant, végétation… Les élèves peuvent profiter d’activités et d’espaces différents. C’est le résultat d’un travail mené par les enseignants, les animateurs, les équipes de la ville de Rennes, ainsi que par les enfants, eux aussi consultés. « On en a parlé avec la directrice et les animateurs et on a cherché des idées avec notre classe. On a proposé des jeux », se souvient Augustin, dix ans, élève en CM2, qui était l’un des délégués.

Enfants et adultes sont conquis. Gwenaëlle, dix ans, également en CM2, trouve que « c’est quand même mieux qu’avant » et adore cette cour « plus naturelle » où elle peut parcourir le circuit de pierres. Florent Bourcier a quant à lui remarqué une baisse des accidents. « Avant, les élèves couraient partout. Maintenant qu’il y a des obstacles, des choses plus ludiques, les enfants font plus attention et sont concentrés. »

Parcours de pierre, sols en copeaux, coins calmes, sol drainant, végétation… La cour a été entièrement repensée.

Des cours de récréation végétalisées similaires commencent à voir le jour en France. On en trouve à Grenoble, Trappes, Strasbourg, Lyon, Lille… Beaucoup s’inspirent des cours « Oasis », issues de la stratégie de résilience de Paris, adoptée en 2017.

Ce projet, dont les réflexions et réalisations sont disponibles en libre accès, prévoit de rénover les cours des écoles maternelles et primaires, ainsi que celles de collèges de la capitale, afin d’y faire entrer la nature et lutter ainsi contre le réchauffement climatique. « Les cours d’école sont importantes dans cette stratégie parce que ce sont des lieux de proximité que tout le monde connaît. Elles sont aujourd’hui très bitumées, très peu ombragées », dit à Reporterre Raphaëlle Thiollier, cheffe de projet des cours Oasis.

La nouvelle cour végétalisée de Rennes.

À Paris, les cours d’école couvrent plus de soixante-dix hectares

Les cours de récréation sont en effet présentes en nombre dans les villes — elles couvrent par exemple plus de soixante-dix hectares dans la capitale. Verdir ces espaces apporte de la nature dans des lieux urbains qui en manquent cruellement, limite ainsi les îlots de chaleur, et fait circuler l’eau de pluie…. Réfléchir à un meilleur aménagement de ces espaces permet aussi de donner une place à chaque enfant. « Une cour d’école, c’est un microcosme social, les inégalités s’y reproduisent, notamment sur les questions de genre, d’âge », dit Raphaëlle Thiollier.

À Rennes, avant le réaménagement de la cour, l’école de l’Ille avait d’ailleurs mené une réflexion avec les enfants sur l’égalité filles-garçons et animé des ateliers. Une consultation de l’Unicef montre la place centrale réservée au terrain de foot dans les cours d’école. Et donc aux garçons, qui y jouent plus souvent. L’école de l’Ille a donc choisi de le déplacer sur le côté et de le transformer en espace multisports. Les adultes ont surtout expliqué « que c’est un jeu pour tous les enfants ».

La plupart des cours d’école réservent une large place au terrain de foot, et donc aux garçons.

Par ailleurs, les cours traditionnelles ont comme gros défaut « de ne pas être pensées pour les enfants, mais pour que les adultes puissent les surveiller et les nettoyer facilement », constate Moïna Fauchier-Delavigne, qui a coécrit L’enfance dans la nature (éd. Fayard, 2019) et Emmenez les enfants dehors (éd. Robert Laffont, 2020). « Elles sont très vides. Ce qui manque, ce sont des éléments pour que les enfants puissent jouer, imaginer, mais aussi être au calme. »

À l’heure actuelle, encore trop peu de cours de récréation proposent des endroits où les enfants peuvent simplement discuter avec un copain à l’abri des regards. « Pour confier un secret à une amie, ma fille va aux toilettes, comme beaucoup d’enfants. Ce n’est pas normal que ça soit le seul endroit où on peut être tranquille », regrette-t-elle.

Les enfants ont besoin de grimper, manipuler, construire, explorer, se cacher… Des activités difficilement envisageables dans un espace bétonné. « À long terme, c’est délétère que ces espaces ne soient pas pensés pour répondre aux besoins fondamentaux des enfants. Certains élèves y passent trois heures par jour, avec la pause méridienne », observe Raphaëlle Thiollier.

Au fil du temps, les cours Oasis ont été améliorées pour aller dans ce sens. « Au début [les cours pilotes ont été créés en 2018], nous restions sur des modèles de cours encore assez classiques. On avait, par exemple, des sols drainants, mais toujours très minéraux. C’était important pour l’infiltration de l’eau, mais en matière de bien-être et de développement des enfants, ça n’améliorait pas directement les choses », se souvient la cheffe de projet.

En Allemagne ou au Danemark, certaines écoles et crèches sont installées dans les bois

C’est un voyage d’études en Belgique en 2019 qui a convaincu les équipes impliquées dans la conception des nouvelles cours Oasis de proposer des espaces complètement différents. Là-bas, ils ont vu des cours d’école presque entièrement naturelles, avec de la végétation dense, des cachettes, du relief… Les pays d’Europe du Nord sont précurseurs dans ce domaine. En Allemagne, en Suisse ou au Danemark, certaines écoles et crèches sont même installées dans les bois.

Les enseignants belges ont expliqué que ces cours de récréation ont beaucoup apaisé les élèves et fait baisser la violence. Un point capital alors que le harcèlement touche de plus en plus d’élèves. La baisse des tensions grâce aux cours végétalisées est confirmée par de nombreuses recherches — comme cette étude menée au Canada — et par les équipes des cours parisiennes déjà transformées.

Les cours végétalisées ont surtout le mérite de reconnecter les élèves avec la nature.

Sarah Wauquiez, psychologue et enseignante, forme depuis une dizaine d’années les professionnels qui souhaitent travailler dehors avec les enfants. Elle remarque également « une ambiance de classe améliorée » grâce aux espaces naturels. Ces derniers ont aussi pour qualité de favoriser la coopération entre les élèves. « Par exemple, un enfant en maternelle qui veut créer un bateau pirate avec un gros bout de bois ne peut pas le soulever tout seul. Il a besoin de l’enfant qui est à côté, même si ce n’est pas son copain ou sa copine. »

Les cours végétalisées ont surtout le mérite de reconnecter les élèves avec la nature alors que les enfants — et les adultes — vont de moins en moins dehors. Richard Louv, journaliste et auteur américain qui a enquêté sur ce sujet, estime même qu’il existe un syndrome du manque de nature.

Sarah Wauiquiez poursuit :

Aujourd’hui, pour beaucoup d’enfants, la nature ne se trouve ni devant la porte de l’école, ni devant la porte de la maison. Le temps de loisir des enfants a disparu, ils sont de plus en plus à l’école ou à l’accueil périscolaire, et de plus en plus devant les écrans. En plus, beaucoup de parents ne veulent pas laisser jouer leurs enfants dehors parce qu’ils ont peur, ou parce que les enfants n’ont pas le droit de se salir, d’abîmer leurs vêtements. »

Pourtant, la nature est essentielle : « Les enfants développent leurs compétences individuelles et sociales. Cela permet de faire un lien avec un leur environnement proche, développer l’empathie envers d’autres êtres vivants », dit-elle.

Ces cours de récréation donnent également l’opportunité aux enseignants qui souhaitent faire la classe dehors de le faire dans l’école, dans un espace riche, intéressant et facilement accessible. Raphaëlle Thiollier y voit un autre avantage : « En nourrissant le lien avec la nature, les enfants deviendront des adultes qui seront plus sensibles à la protection de l’environnement. »

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