Réflexions écologistes sur l’agression de Vladimir Poutine contre l’Ukraine

Le conflit nous impose de présenter une réponse graduelle – ni angélisme, ni bellicisme – et d’accélérer notre sortie de la dépendance énergétique aux énergies fossiles et au nucléaire car la question énergétique est une des armes de Poutine. Quelques réflexions écologistes sur le retour de la Guerre en Europe au 1er mars 2022. Par Jérôme Gleyzes, Vice-président du groupe écologiste de Paris. Article publié sur le blog de Jérôme G dans Mediapart.

 Il y aura un « avant » et « après » 24 février 2022. Cette date entrera dans l’Histoire, reste à savoir si elle sera de l’ampleur du 28 juin 1914, jour de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg à Sarajevo ou du 1er septembre 1939, jour de l’invasion de la Pologne ou du 29 septembre 1938, jour de l’annexion de la région des Sudètes par l’Allemagne nazie, ou si elle sera le début du déclin du pouvoir de Vladimir Poutine. Quelle que soit la suite des évènements, pour la première fois depuis 1945 en Europe, un pays envahit un autre en niant sa souveraineté. De surcroit, ce pays est une puissance nucléaire, membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, et dans sa déclaration de guerre, Vladimir Poutine l’a rappelé tout en rajoutant qu’ils disposaient de nouvelles armes, sans doute des avions supersoniques à propulsion MHD, nouveau vecteur nucléaire indétectable. La dernière tension nucléaire remonte à octobre 1962 avec la crise des missiles de Cuba.

Depuis son accès au pouvoir le 31 décembre 1999, Vladimir Poutine a l’ambition de reconstruire la grande Russie et d’assumer un pouvoir autocratique. Il ne faut pas relativiser son action actuelle et ses actions futures belliqueuses. La guerre risque d’être longue et ne pas s’arrêter à l’Ukraine, ou de se limiter à un front uniquement militaire. Par rapport à toutes les conflits précédents, se préparer à la guerre doit être une possibilité, ce qui est une rupture pour les écologistes. À ce sujet, une déclaration de Gandhi de 1920 « Je crois en vérité que s’il fallait absolument faire un choix entre la lâcheté et la violence, je conseillerais la violence. […] C’est pourquoi je suis d’avis que ceux qui croient à la violence apprennent le maniement des armes. Je préférerais assurément que l’Inde eût recours aux armes pour défendre son honneur plutôt que de la voir devenir ou rester lâchement l’impuissant témoin de son déshonneur. Mais je crois que la non-violence est infiniment supérieure à la violence : pardonner est plus viril que punir. Le pardon est la parure du soldat. Mais s’abstenir n’est pardonner que s’il y a possibilité de punir : l’abstention n’a aucun sens si elle provient de l’impuissance. »1 Cette déclaration est à mettre en parallèle avec l’analyse des libertaires ukrainiens : « Aujourd’hui, les anarchistes tentent de créer des liens horizontaux à la base de la société, fondés sur des intérêts communs, pour que les communautés puissent répondre à leurs propres besoins, y compris l’autodéfense […] mais si une guerre éclate, il s’agira avant tout d’être capables de participer à un conflit armé. »2

Quel équilibre trouver entre le maintien d’une stratégie de non-violence et de construction de la paix et le rétablissement de la souveraineté de l’Ukraine ? La priorité reste la désescalade, donc le cessez-au-feu et le retour à la table de négociation, au maintien des accords de Minsk 1 et 2, à réhabiliter l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe qui avait une mission d’observation en Ukraine jusqu’au début de la guerre.3 Il n’y a jamais de solution uniquement militaire à une question politique, du moins pour les démocrates. La notion de désescalade est cruciale car il ne faut pas entrer dans une logique de guerre tout en n’écartant pas la possibilité d’être contraint d’y entrer : « gagner la guerre avant la guerre ». Personne ne sait jusqu’où est capable d’aller Vladimir Poutine dans les agressions contre d’autres pays, personne ne sait quelles sont les moyens qu’il est capable d’utiliser. Va-t-il couper l’alimentation de gaz naturel pour l’Europe ? Va-t-il bloquer les exportations de matières premières, des produits agricoles russes mais aussi ukrainiennes ? Toute action actuelle doit anticiper ces scénarios de crise car un des premiers constats que nous pouvons faire, c’est que peu de personnes avait prévu cette invasion, et que depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, rien n’a été fait pour réduire la dépendance de l’Europe aux ressources russes et pour construire une défense européenne autonome de l’OTAN. Le temps est une donnée centrale pour stopper Vladimir Poutine pour éviter un engrenage militaire meurtrier dont nous ne connaissons pas la fin. La Russie doit être bloquée dans toutes ses dimensions comme ce fut fait pour l’Afrique du Sud, économique, financier, sportif, culturel… Après un démarrage poussif, des sanctions pénalisantes commencent à être prise comme l’exclusion des banques russes du système SWIFT mais tout doit être fait pour isoler Poutine dans son propre pays et le plus rapidement possible. Le coût de la guerre doit l’obliger à revenir à la table de négociation.

Comment rétablir la souveraineté de l’Ukraine ? C’est la question la plus difficile pour les écologistes et cela renvoie à la déclaration de Gandhi. Les ukrainiens sont dans une relation asymétrique face à un agresseur qui dispose d’une surcapacité miliaire et de l’arme atomique. Même la Chine n’a pas posé son véto contre la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’agression russe. L’Ukraine, comme tous les peuples, a le droit à décider d’eux-mêmes de leur avenir, et a le droit et la nécessité de se défendre. Et à ce titre, elle reçoit une aide financière internationale et même militaire dont celle de la France. Nous devons être prudents dans des revendications bellicistes mais une proposition de force d’interposition sous mandat de l’ONU doit être faite. N’oublions pas que la France est intervenue militaire au Rojava à Kobane auprès des forces kurdes contre l’État islamique sans le reconnaître officiellement. Faut-il s’engager publiquement auprès de l’Ukraine ? Cela serait imprudent face à une puissance nucléaire et un homme dont nous ne connaissons pas les limites.

Ce conflit nous impose de présenter une réponse graduelle, car nous ne savons pas où va s’arrêter Vladimir Poutine, préparer l’après conflit avec deux hypothèses, le retrait de la Russie ou la défaite de l’Ukraine, car tout doit être fait pour éviter l’écrasement de l’Ukraine et son corolaire l’écrasement de l’opposition démocrate en Russie. Ni angélisme, ni bellicisme. Sortir par le haut en acceptant l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne, la construction d’une défense européenne en sortant progressivement de l’OTAN qui n’est pas une solution à moyen terme à cause de la présence de la Turquie d’Erdogan, de la neutralité de Biden ou d’un retour possible de Trump (élection de mi-mandat aux États-Unis). Accélérer notre sortie de la dépendance énergétique aux énergies fossiles et au nucléaire car la question énergétique est une des armes de Vladimir Poutine.

Pour terminer, jamais depuis 1945, nous n’avons été confrontés à un tel risque de guerre en Europe. L’unité nationale risque d’être à un moment ou un autre évoquée. Ce n’est pas le temps des polémiques, même si l’élection présidentielle et l’ambiguïté du président Emmanuel Macron complique la tâche.

Leyla Binici, Michel Bock, Thomas Dupont, Jérôme Gleizes, Abdessalam Kleiche, Myriam Laïdouni-Denis, Didier Claude Rod

1La doctrine de l’épée – Gandhi (Young India, 11 août 1920, In La Jeune Inde, 1924, Stock, pp. 107-109)

2Anarchistes et guerre: Perspectives anti-autoritaires en Ukraine

3Mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine | L’OSCE

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