La mission d’information du Sénat sur les émeutes de l’été dernier poursuit son travail. Ce mardi 16 janvier, les sénateurs ont entendu les sociologues du CNRS Sebastian Roché, Fabien Jobard et Marwan Mohammed.
« L’objectif est d’appréhender ce qu’il s’est passé au moment des émeutes de fin juin-début juillet dernier pour élargir la compréhension des évènements et, peut-être, faire des propositions législatives ». C’est par ces mots que François-Noël Buffet, rapporteur au Sénat de la mission d’information sur les émeutes, a lancé les débats, ce mardi 16 janvier au palais du Luxembourg.
Le premier à s’exprimer fut Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et chercheur à Sciences Po’ Grenoble. Replaçant ces émeutes dans leur contexte, il a rappelé que « la France est, avec la Grande-Bretagne, le pays qui a connu le plus d’émeutes en Europe ». Un propos repris par Fabien Jobard, également directeur de recherche au CNRS, qui a fait le lien avec le passé colonial des principaux pays européens connaissant des émeutes : « Il est nécessaire de prendre en compte cette dimension car elle contribue à la radicalité de l’expression politique des jeunes dans ces pays ».
Un contexte brûlant
Marwan Mohammed, chargé de recherche au CNRS et chercheur au centre Maurice Halbwachs, a basé son propos sur le contexte entourant les émeutes : « Le fonctionnement des émeutes repose sur quatre types de rationalité :
- une dynamique de révolte basée sur un sentiment d’injustice, locomotive de ces émeutes ;
- les révoltes ont une dimension ludique amplifiée par des outils numériques permettant de donner un aspect viral aux évènements ;
- une rationalité économique : les pillages disent aussi quelque chose du niveau de vie et de la question sociale ;
- un règlement de contentieux caractérisé par les cibles des émeutiers : élus, figures économiques, institutions… »
Un point de vue faisant écho à celui de Sebastian Roché, pour qui il existe « deux mécanismes de déclenchement des émeutes :
- des mécanismes directs : l’origine est toujours un acte de brutalité policière ou un décès lors d’une opération de police, qui produit un choc moral immédiat lié à l’identification avec la personne tuée, qu’elle soit géographique, socioprofessionnelle ou ethnique ;
- des mécanismes indirects : l’accumulation de petites frustrations qui engendre la diminution de la confiance dans la police, qui finit par perdre son autorité en tant que force morale. »
L’enjeu des contrôles d’identité
Pour Sebastian Roché, les émeutes sont par ailleurs « favorisées par la mort d’une personne non-armée, dont le prénom est d’origine étrangère ou résidant dans un quartier défavorisé », dans un contexte de « concentration spatiale de la pauvreté » et « d’appartenance à une minorité ethnique ».
Les trois chercheurs sont ainsi revenus sur les contrôles d’identité, récemment mis à l’index par la Cour des comptes. « Il y a quelques années à Paris, nous avons fait suivre des policiers à cinq endroits différents. Nous nous sommes rendu compte que dans les lieux où les personnes blanches sont minoritaires, elles sont sous-contrôlées par rapport à la part de population disponible. Quand elles sont majoritaires, elles sont là aussi sous-contrôlées », a indiqué Fabien Jobard, liant cette donnée à des critères d’âge, de genre et de tenue vestimentaire. « Lorsque vous passez 40 ans à vous adresser systématiquement aux mêmes populations décrivant ces phénomènes, vous créez un sentiment d’appartenance. C’est un invisible de la statistique publique mais c’est au cœur des émeutes. »
Une comparaison incertaine avec les émeutes de 2005
Si Sebastian Roché a mis en avant une même temporalité pour les émeutes de 2005 et 2023 – un cycle de violences de 5 à 7 jours –, Fabien Jobard a observé une différence majeure : « En 2005, nous avons connu deux déclencheurs pour un même cycle d’évènements : la mort de Zyed et Bouna et l’usage d’une grenade lacrymogène dans un lieu de prière. En 2023, nous avons vu le déclenchement simultané d’évènements violents dans un certain nombre de territoires, quelques heures seulement après la diffusion des premières vidéos ».
Les trois chercheurs se sont aussi intéressés à la réaction des pouvoirs publics : « En 2005, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, et ses conseillers, n’ont pas du tout joué l’apaisement. En 2023, nous avons vu l’unanimité de la représentation parlementaire et du gouvernement condamner le geste du policier, même si cela n’a eu aucun effet sur les comportements », poursuit Fabien Jobard.
Quid du profil des émeutiers et des victimes ?
Si les écoles et les bibliothèques ont été plus épargnées qu’en 2005, les forces de l’ordre ont payé un lourd tribut. Une donnée qui, d’après Fabien Jobard, tient au profil des émeutiers : « une population urbaine, masculine et issue des populations coloniales, ayant un rapport direct avec la police ».
Pour autant, les variables sociales l’emporteraient sur les variables migratoires : 30 % des émeutiers sont non-diplômés (2 fois plus que la moyenne nationale) et 40 % des diplômés ont un diplôme inférieur au baccalauréat.
Emmanuel Macron satisfait de la gestion des émeutes
Lors de leur audition, les trois chercheurs ont souligné l’absence de réponse à long terme de la part des pouvoirs publics après ces émeutes. « Fin octobre, la police n’était déjà plus dans l’agenda, la politique de la ville avait été mise à l’index car elle a échoué, tout comme le sujet de la parentalité », a notamment pointé du doigt Fabien Jobard.
Questionné à l’Élysée de mardi 16 janvier, le président de la République, Emmanuel Macron, a au contraire salué « la réponse implacable de l’État » se traduisant par un « record d’interpellations et de condamnations ». Le chef de l’État a reconnu « un problème d’intégration », mais réfuté tout lien avec l’immigration, la majorité des émeutiers ayant la nationalité française. La « présence policière » n’étant selon lui pas en cause, Emmanuel Macron a fustigé « l’oisiveté de jeunes qui s’ennuyaient (…) qui étaient tous derrière leur écran et se lançaient des défis » et dont « 60 % venaient de familles monoparentales ». Il s’est dit favorable à un accompagnement visant à « réengager les familles » dans la parentalité et à envisager « une réponse pré-pénale puis pénale plus claire ».