Le Collectif 3R (réduire, réutiliser, recycler) a mandaté les chercheurs de la fondation ToxicoWatch pour détecter la présence de dioxines autour de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, qui traite jusqu’à 700000 tonnes d’ordures ménagères par an dans l’un des endroits les plus densément peuplés et pollués d’Ile-de-France. Les résultats sont effrayants.
Les analyses menées sur des oeufs de poules élevées en plein air, des arbres (résineux, oliviers) et des mousses dans les communes d’Ivry-sur-Seine, Alfortville, Charenton-le-Pont et Paris, révèlent des concentrations de dioxines parmi les plus élevées des études de biosurveillance menées par ToxicoWatch en Europe.
Les œufs dépassent pour la plupart les valeurs limites réglementaires européennes. “S’ils avaient été produits pour être mis sur le marché européen, ils devraient en être retirés”, indique Abel Arkenbout, auteur de l’étude, en rappelant que la consommation régulière d’oeufs pollués aux dioxines présente un risque fort pour la santé selon les recommandations de l’autorité européenne de sécurité alimentaire. Les analyses des végétaux collectés dans des parcs et jardins ouverts au public dans la zone de retombée des fumées de l’incinérateur confirment ces niveaux élevés de dioxines.
Les dioxines font partie des polluants organiques persistants, sont toxiques même à des doses infimes (ce sont notamment des perturbateurs endocriniens), et contaminent l’environnement durant plusieurs décennies en s’accumulant dans la chaîne alimentaire. Même s’il est scientifiquement difficile d’établir avec certitude l’origine de leur présence dans les communes autour de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, la présence dans les dioxines analysées de profils de congénères typiques de l’incinération des déchets plaide, selon ToxicoWatch, pour une surveillance renforcée des émissions avec des mesures en continu, y compris lors des phases d’arrêt et de redémarrage, et une transparence accrue sur leur diffusion.
Les PCB « dioxin-like » ont été beaucoup utilisés dans les matériaux de construction et les peintures et peuvent se retrouver dans l’environnement suite à des démolitions, mais des travaux scientifiques récents indiquent qu’ils sont aussi fortement émis lors des phases d’arrêt et de redémarrage des incinérateurs. Or “les incidents sérieux ne sont pas rares sur l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII construit en 1969 et en cours de reconstruction”, indique Anne Connan, membre du Collectif 3R et vivant à quelques centaines de mètres de l’usine. Les profils des dioxines relevés autour d’Ivry sont également similaires à ceux observés par Toxico Watch sur les cheminées de l’incinérateur de Harlingen, aux Pays-Bas, construit en 2011, dans le cadre de mesures récentes en continu pendant 20 000 heures incluant les phases sensibles d’arrêt et de redémarrage.
Pour Maître Louis Cofflard, avocat à l’origine de plusieurs recours nationaux sur la pollution de l’air, “ces résultats traduisent des anomalies très inquiétantes dans le contrôle des concentrations de dioxines ; ils aggravent la situation actuelle de non-conformité persistante de l’agglomération parisienne avec la réglementation européenne sur la qualité de l’air très préjudiciable à la santé humaine ainsi qu’à l’environnement. Il n’est pas acceptable que l’incinération demeure le mode de traitement majoritaire des déchets de Paris et de ses communes voisines. Sur la totalité des déchets ménagers et assimilés de la ville de Paris, 687 194 tonnes ont été incinérés en 2020, soit 73%1. Des investissements matériels et humains conséquents doivent être engagés pour rattraper notre retard en termes de prévention et de taux de recyclage2 qui stagne depuis 10 ans en Ile-de-France à 22% alors que l’objectif est de 55% d’ici 20253, notamment en vue de la généralisation du tri à la source des biodéchets4.”
1 Source : Paris, 2021, Rapport annuel 2020 sur le prix et la qualité du service public de prévention et de gestion des déchets ménagers et assimilés à Paris
2 Source : Institut Paris Région, 2022, Taux de recyclage francilien : une grande marge de progression
3 Selon l’article L. 541-1 du Code de l’environnement
4 La généralisation du tri à la source des biodéchets est fixée au 31 décembre 2023 par l’article L. 541-21-1 du même code