Pour nourrir Paris, sauvons les terres de Saclay et Gonesse

Paris va-t-il un jour renouer avec les disettes des siècles passés ? Possible, si on ne stoppe pas la destruction des terres nourricières, comme celles de Saclay et Gonesse, interpellent les auteurs de cette tribune.

Par Cédric Villani est mathématicien (médaille Fields 2010), professeur à l’Institut des hautes études scientifiques et à l’université Lyon 1, ancien député de l’Essonne ; Fabienne Mérola est ancienne directrice de recherche au CNRS, porte-parole du Collectif Contre la ligne 18 (CCL18) ; Bernard Loup est porte-parole du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) ; Luc Blanchard est coprésident de France Nature Environnement Île-de-France ; Gaspard Manesse est porte-parole de la Confédération paysanne Île-de-France. Tribune publiée dans Reporterre.


Les tronçons ouest de la ligne 18 et nord de la ligne 17, dernières lignes du Grand Paris Express (GPE) encore à construire, doivent traverser de part en part des territoires agricoles d’une exceptionnelle fertilité aux portes de la métropole parisienne : respectivement le plateau de Saclay (2 300 hectares) et le Triangle de Gonesse (670 hectares). On y pratique l’agriculture céréalière et maraîchère, on y prépare des produits laitiers et de la volaille bio. À lui seul, le plateau de Saclay pourrait un jour nourrir en légumes bio près de 400 000 personnes.

Si l’été dernier a été catastrophique partout en France, sur ces terres constituées de limons millénaires, le blé, le maïs et les pommes de terre ont poussé comme chaque année sans arrosage, et les rendements ont été excellents aux dires des agriculteurs. Ces presque 3 000 hectares d’espaces verts périurbains sont aussi de précieux auxiliaires dans la régulation thermique de la région parisienne. Pourtant, les agriculteurs s’y sentent toujours plus assiégés et crient à l’aide depuis des années sans être entendus, sachant bien que ces grands projets de transport sont le prélude à un bétonnage toujours plus envahissant.

À la grande marche Terminus Saclay, du 22 octobre 2022 : « Coulez du béton, on crèvera la dalle ! » © Collectif Contre la Ligne 18.

De fait, ces deux lignes de métro ne répondent pas à un réel besoin, mais à des projets d’expansion du centre métropolitain, fortement urbanisé, vers la grande couronne parisienne, encore largement agricole. Dans l’immédiat, la fréquentation attendue de ces nouveaux tronçons, d’un coût cumulé de près de 4 milliards d’euros, serait extrêmement faible, et leur coût carbone de construction exorbitant [1].

Pendant ce temps, la rénovation du réseau ferré existant, notamment les lignes de RER B, C et D, qui transportent chaque jour des millions de passagers, continue de souffrir d’un manque criant d’investissements.

Un entêtement absurde

Conçus au début des années 2000, ces projets ne sont plus en phase avec les réalités climatiques, écologiques, ni même démographiques de l’Île-de-France, dont la population a cessé de croître depuis plusieurs années en raison d’un solde migratoire négatif. Ils continuent pourtant de prospérer sans réel débat, au prétexte qu’il n’est pas possible de revenir sur les décisions du passé.

À Saclay, après des années de contestation des riverains, des agriculteurs et des associations de défense de l’environnement, le tronçon ouest de la ligne 18 a finalement été déclaré d’utilité publique en mars 2022 par le Premier ministre, Jean Castex, peu de temps avant de quitter son poste. Grave erreur ! S’il nous est arrivé d’avoir par le passé des avis divergents sur le tronçon est, nous sommes unanimes à considérer le tronçon ouest comme la pire aberration pour le plateau de Saclay. Les agriculteurs et les élus alertent : ce métro annonce de fait la fin programmée de l’agriculture sur le plateau de Saclay, déjà fortement bousculée par les chantiers du nouveau campus universitaire (400 hectares artificialisés). Il entraînera une coupure fonctionnelle des surfaces agricoles et des continuités écologiques, aggravera les pollutions de toute nature, sonnera le glas des espoirs d’équilibre entre le développement universitaire de Paris Saclay et l’agriculture du plateau, bref, le glas de l’alliance qui aurait dû être le vrai fondement de ce projet universitaire.

À Gonesse, le gouvernement laisse la Société du Grand Paris démarrer la construction de la gare du Triangle de Gonesse, située à 1,7 kilomètre des premières habitations. Décidée en 2011, la ligne 17 nord était censée relier le mégacentre commercial Europa City, avec ses prétendus 10 000 emplois et 31 millions de visiteurs, à Roissy et son futur Terminal 4. Alors que les projets d’Europa City et du Terminal 4 ont été abandonnés, et que plus aucun investisseur privé ne s’intéresse au Triangle de Gonesse, alors que Roissy est déjà desservi par le RER B et bientôt le CDG Express, l’État et les collectivités persistent à vouloir urbaniser ce secteur, en multipliant des projets invraisemblables — comme une cité scolaire avec internat en pleine zone d’exposition aux bruits des aéroports —, afin de justifier leur métro et sa gare en plein champ.

Le Patrimoine mondial de l’Unesco comme ultime recours

Dans le contexte actuel, il n’est pas concevable que de tels projets soient poursuivis, malgré leur coût pharaonique et leurs lourdes conséquences écologiques : les avis critiques se multiplient de toutes parts [2], et l’opposition ne faiblit pas.

Le 16 septembre dernier, lors d’un grand meeting à la salle Olympe-de-Gouges (Paris XIᵉ), qui a rassemblé 500 à 600 personnes, un appel solennel a été lancé par un collectif de scientifiques et de personnalités, demandant au gouvernement de proposer le classement des terres fertiles de Saclay et Gonesse au Patrimoine mondial de l’Unesco.

Le dragon-métro du collectif contre la ligne 18, le 22 octobre 2022. © Collectif contre la ligne 18

Ce samedi 22 octobre, près de 300 personnes venues de tous les coins de l’Île-de-France, citoyens, associatifs, élus, syndicalistes, militants politiques, activistes, zadistes, ont participé à la marche Terminus Saclay, reliant sur 17 kilomètres l’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines au bourg de Saclay, pour réclamer l’abandon de ces projets de métro en plein champ.

Aujourd’hui, il y a urgence : un autre projet pour la région Île-de-France doit être élaboré, notamment à travers la révision en cours de son Schéma directeur régional, dit aujourd’hui « Environnemental » (SDRIF-E). Ce document, qui orientera l’avenir du territoire et de ses quelque 13 millions d’habitants pour les vingt-cinq années à venir (une période décisive dans notre adaptation aux défis climatiques), doit faire l’objet d’une information claire [3] et prendre au sérieux cette interpellation sévère de l’Autorité environnementale : « La transition écologique n’est pas amorcée en France » !

Il s’agit désormais d’acter les nouveaux principes de zéro artificialisation et de sobriété énoncés par le gouvernement ; de favoriser les mobilités douces au service des usagers ; d’apporter un soutien foncier et économique à une agriculture paysanne et nourricière en Île-de-France. Pour en débattre, France Nature Environnement Île-de-France organisera le 1ᵉʳ décembre prochain une rencontre-débat avec l’Institut Paris Région et les élus régionaux. Car qu’y a-t-il de plus important que l’avenir du vivant à deux pas de chez nous, maintenant et pour la génération à venir ?

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