Contre les idées reçues, extrait d’un entretien avec Valérian Benazeth, docteur en science politique à l’université de Versailles-Saint-Quentin (Paris-Saclay), rattaché au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), publié le 25 juillet.
Depuis des années, les ministres de l’Intérieur successifs pointent une jeunesse qui serait de plus en plus violente. Que nous disent les statistiques officielles ?
Contrairement aux idées reçues, l’évolution de la délinquance enregistrée des mineurs connait une baisse continue depuis plus de vingt ans. C’est ce qui ressort noir sur blanc des chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur. Dans les années 90, le nombre de mineurs mis en cause par la police et la gendarmerie nationale s’élevait à environ 100 000. Ce nombre a d’abord doublé dans les années 2000 pour atteindre 200 000 avant d’entamer une longue diminution jusqu’à aujourd’hui. Précisément, entre 1998 et 2023, la part des mineurs dans les délits, toutes catégories confondues, est passée de 22% à 12%.
Si l’on se penche sur les violences physiques, le nombre de mineurs mis en cause pour coups et blessures dans la période récente est plutôt stable, voire à la baisse : selon le ministère, il est passé de 21800 en 2016 à 20600 en 2023.
Stabilité également pour les homicides qui se situent autour de 800 à 900 depuis plusieurs années, pour une population de 67 millions d’habitants, avec cela dit une augmentation à 996 pour les derniers chiffres fournis par le SSMSI pour l’année 2023. Au regard de ces chiffres, on peut d’ailleurs affirmer que la France est l’un des pays où l’on tue le moins au monde. Les statistiques produites par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans sa dernière enquête sur les homicides montrent que plusieurs pays de l’Union Européenne dont la France restent à environ un homicide par tranche de 100 000 habitants, tandis que dans un pays comme le Honduras on est plutôt à 38 par an en 2021, 28 pour le Mexique, la moyenne mondiale s’établissant à 5,8. Seuls des pays comme le Japon ou Singapour connaissent des taux plus bas avec environ 0,2 tués par tranche de 100 000 habitants.
La France ne serait donc pas plus violente aujourd’hui ?
Clairement. Sur le long terme, la délinquance des mineurs est en diminution continue. De la même manière que le phénomène des bandes qu’on semble découvrir aujourd’hui est en réalité un phénomène ancien dont le niveau de violence était dans le passé autrement plus fort.
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Le discours politique s’est considérablement durci sur l’insécurité, certains allant jusqu’à évoquer un « ensauvagement » des jeunes. Quelle est votre analyse ?
Il y a un enjeu électoral évident pour les politiques. Les travaux universitaires des britanniques Will Jennings, Stephen Farrall, Emily Gray et Colin Hay ont passé en revue 30 ans de scrutins nationaux et locaux et démontré combien il était payant pour les candidats aux élections d’adopter un discours « tough on crime » [dur sur le crime, ndr]. L’insécurité est un levier très efficace du discours politique pour se faire élire. Une fois au pouvoir, cependant, les élus peuvent se montrer moins stricts dans le renforcement de leur politique pénale.