L’égalité salariale à l’échelon de la ville

Un texte de Laetitia Vitaud, autrice et conférencière spécialisée dans les mutations du travail avec une perspective résolument féministe, publié dans le rapport des Glorieuses diffusé à l’occasion du #10Novembre11h31.

L’égalité entre les femmes et les hommes est souvent perçue comme une affaire d’État, régie par des lois nationales. Pourtant, comme je l’ai découvert en 2020 en lisant le génial Feminist City de l’autrice canadienne Leslie Kern, la bataille pour l’égalité se joue aussi à l’échelon de la ville. L’aménagement urbain et la conception des infrastructures ont historiquement été pensés par et pour les hommes, adaptés à leurs activités, leurs déplacements et leurs besoins. Une ville peut donc devenir « féministe » en transformant ses espaces pour les rendre plus favorables aux femmes et tout d’abord, en examinant l’impact de ses dépenses sur les femmes et les hommes. Cela passe par un outil puissant : la Budgétisation Sensible au Genre (BSG).

On en trouve une application concrète en France, à Nantes, qui expérimente depuis plusieurs années cette approche pour repenser ses politiques publiques à travers le prisme de l’égalité. Sa mairesse Johanna Rolland a fait de cet engagement une priorité, promettant de faire de Nantes la « première ville non sexiste de France » d’ici 2030. Le BSG est le levier concret pour y parvenir.

Qu’est-ce que c’est ?

Le BSG (Gender Responsive Budgeting en anglais) est une méthode d’analyse et d’ajustement des budgets publics. Il s’agit de vérifier si les décisions budgétaires de la ville ont des effets différents sur les femmes et sur les hommes. Cela concerne toutes les formes de dépenses : investissements (éclairage public, voirie, mobilier urbain), fonctionnement des services ou subventions. Le concept a d’abord été développé par des organisations internationales comme l’ONU pour s’assurer que les dépenses publiques favorisent l’égalité entre les femmes et les hommes. Il repose sur quatre étapes :
1. Analyser les budgets pour comprendre les impacts différenciés selon les femmes et les hommes ;
2. Identifier les biais et inégalités existantes ;
3. Réajuster les projets budgétaires pour corriger ces disparités ;
4. Suivre et mesurer l’impact réel des changements effectués.

Nantes l’a expérimenté sur les Scènes Vagabondes

En France, Nantes fait figure de pionnière. En 2023, la municipalité a appliqué la budgétisation sensible au genre (BSG) à plusieurs domaines pour mettre en lumière des déséquilibres souvent invisibles. Prenons un exemple concret : les Scènes Vagabondes, un festival artistique de plein air organisé chaque mois de juin.

Les résultats ont été éclairants. Si la programmation est presque paritaire – 47 femmes et 43 hommes invités en 2023 -, en revanche, les cachets racontent une autre histoire : les artistes femmes étaient globalement moins bien rémunérées que leurs homologues masculins. En cause, la notoriété plus établie de certains artistes hommes… mais aussi les habitudes de négociation plus affirmées chez eux.

Comment le BSG fait avancer l’égalité à l’échelon municipal ? À Nantes, la budgétisation sensible au genre aboutit à des actions concrètes. La ville corrige les écarts de rémunération repérés, encourage la mixité dans les comités de budgets participatifs et évalue l’usage des infrastructures publiques (voirie, éclairage, trottoirs) pour les rendre plus accessibles, sécurisées et utiles à toutes et tous. Plus largement, le BSG agit sur des leviers structurels souvent invisibles pour :

  • Réduire les coûts cachés du travail non rémunéré (soins, logistique familiale) en améliorant crèches, transports et éclairage public, afin de libérer du temps pour le travail rémunéré, la formation ou le repos.
  • Faciliter l’accès aux ressources (culture, santé, mobilité) en adaptant les horaires, la localisation et les services aux besoins réels des femmes, souvent plus exposées à la précarité.
  • Intégrer une lecture genrée dès la conception des projets et transformer durablement les priorités urbaines.

Concrètement, la budgétisation sensible au genre change des vies. Grâce à elle, l’artiste ou la technicienne du spectacle qui intervient à Nantes voit sa rémunération revalorisée. L’employée municipale n’a plus besoin de passer à temps partiel parce qu’une place en crèche lui permet de concilier travail et vie familiale. Et la multi-aidante, prise entre enfants, parents âgés et emploi, voit son quotidien allégé : des transports mieux pensés facilitent ses déplacements, rendant possible un temps plein sans perte de revenus.

En agissant sur ces détails en apparence ordinaires, le BSG démontre toute sa puissance.

Lire en ligne – https://lesglorieuses.fr/egalite-salariale-nantes/

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